Le fait est que Tyrannosaur ressemble pratiquement à un prototype de ces fictions britanniques écrasées par le poids du dérèglement social né dans les eighties, marmonnant le regard dans le vide le traumatisme des années Thatcher en situant leur action dans un Glasgow informe et grisâtre, marqué par un grand dénuement affectif et financier. Bien sûr, on pense plus d’une fois à Ken Loach et encore bien plus à Shane Meadows, qu’il s’agisse de This is England ou de Dead Man’s Shoes (que l’acteur-réalisateur a co-écrit). Considine sait d’où il vient, mais aussi où il va. Tyrannosaur trace sa propre trajectoire, s’extirpant à la fois du cadre du film social et du drame domestique, créant ça et là des éléments de suspense, de romance, de bravade nostalgique, lorsqu’une biture collective devient par exemple le seul moyen de noyer avec flamboyance son désespoir dans une illusion de vie meilleure.
Fidèle à son particularisme, Tyrannosaur se déploie progressivement sans chercher à épater, sans chercher à secouer gratuitement : le film est certes brutal, noir comme la suie, mais il se dégage, principalement grâce au travail du réalisateur sur la photographie et une mise en scène élégante qui alterne cadrages amples et gros plans au plus près des acteurs, une grande poésie de cette histoire simplement cruelle comme la vie. Peter Mullan est une fois de plus impressionnant, mais sa partenaire Olivia Colman, en femme battue qui n’entend pas renoncer à sa dignité face au sadisme de son compagnon (Eddie Marsan, tout en onctuosité psychotique), est tout aussi digne de louanges. C’est, contre toute attente, sa présence, son courage sans borne, son tumulte intérieur qui propulse ce récit à la rude clairvoyance, qui pourtant se termine par une note d’espoir. Un petit coup de maître, par ailleurs Grand Prix mérité du dernier festival de Dinard.