Tulip Fever

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À trop lisser ses intrigues et leur mise en scène, Justin Chadwick frôle la coquille vide, fut-elle luxueusement décorée et interprétée. Sortie en e-cinéma.

Vous avez dit artificiel ?

Justin Chadwick ne renouvelle pas l’esthétique proprette de ses précédents films. À l’image de Deux sœurs pour un roi (2008) et Mandela : un long chemin vers la liberté (2013), l’Américain opte pour un récit tout ce qu’il y a de plus académique. Porté par une mise en scène dont l’apparat ne fait guère oublier l’ultra-standardisation, le long métrage mise tout sur ses jolis costumes, décors et la qualité générale de l’interprétation. Dans cet Amsterdam du 17e siècle replié autour d’une maison bourgeoise, un atelier de peintre, un marché et un orphelinat – le tout ramifié par quelques canaux et quais –, l’espace ne sert ni à nourrir l’intrigue sur le plan allégorique ni historique, sinon à la marge comme alibi. Son territoire vaut simplement pour sa propension à relier artificiellement les saynètes les unes aux autres. Les quelques opulents travellings accompagnant d’un lieu à l’autres les protagonistes permettent ainsi d’abord d’imbriquer les maillons du dispositif romantique : l’histoire entre le poissonnier et Maria ; le quotidien moribond de Sophia chez le marchand Cornelis ; son corollaire : la passion dévorante pour l’artiste Jan Van Loos, Rembrandt raté mâtiné de DiCaprio sauce nineties ; le commerce de tulipes via des aller-retour entre l’orphelinat et la salle des enchères. Là où Anna Karénine (Joe Wright, 2012) substituait à la pesanteur historique une machinerie théâtrale qui, aussi pompière soit-elle, véhiculait ça et là quelques lueurs d’ingéniosité, Tulip Fever ne cherche à aucun moment à travers ses mouvements d’appareil à déconstruire le film de costumes par un double langage. Il y a bien au contraire une velléité de s’en tenir à une inconsistance assumée, un conservatisme qui séduira sans aucun doute les inconditionnels d’histoires à l’eau de rose.

 

Netflix syndrome

La séquence animée liminaire et l’allusion en off à cette obsession pour le commerce de tulipes qui s’empare d’Amsterdam préfiguraient pourtant quelques motifs plus substantiels. À mesure que la fleur, symbole d’orgueil et de luxure, s’immisce entre les personnages – ici pour spéculation, là pour marquer la richesse –, le spectateur s’attend à voir la trajectoire de chacun prendre des atours shakespeariens. Rappelons que l’idée du film, au gré du destin du personnage de Sophia (Alicia Vikander), consiste en quelque sorte à saisir une fleur : représenter la pureté de son innocence puis sa corruption irrépressible. Mais en dépit d’une volonté d’inoculer le drame par le symbole (la chute du premier pétale, la couleur jaune comme présage à la tromperie), la fatalité manque en définitive à ses obligations. La douleur n’affleure pas réellement, de telle sorte que l’émotion peine en contrepartie également à s’inscrire comme remède. Si par bien des égards les rôles tenus par Alicia Vikander, Christoph Waltz, Dane DeHaan, Judi Dench, Zach Galifanakis, Cara Delevingne ou Jack O’Connell – un casting qui bombe résolument le torse – s’avèrent de prime abord réjouissants par leur pointillisme, le rythme effrénée des séquences échoue à les faire exister, à tel point qu’on les oublie parfois bien vite. En cela, le symptôme Netflix n’est pas loin : une surabondance d’ingrédients – péripéties, personnages, lieux – ne peut à elle seule se prévaloir du résultat final. En syncopant toutes les micros intrigues par montages parallèles, en multipliant les cuts, les dialogues-minute… Justin Chadwick reste pris dans les lisières de son sujet jusqu’à même risquer les invraisemblances – quid de la résilience inexplicable de Christoph Waltz ? Même les scènes de sexe, constamment parasitées par d’autres enjeux accessoires, illustrent cette pathologie. Demeure un enchevêtrement de scènes courtes et factuelles, trop souvent jouées sur le même ton, avec le même débit et sans intervalle ou accident. Constat d’autant plus préjudiciable qu’un simple re-montage étendu d’une trentaine de minutes, jouant davantage sur les contretemps, aurait pu changer la donne tout en perpétuant cette même école du mélodrame : celle du politiquement correct et de l’aseptisé.

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Durée : 108 mn


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