Un huis-clos dans un open-range
Pourtant, le décor de sables et de poussières appelait le grand genre épique hollywoodien : le western. Quelques inserts, pendant une sieste d’Isaac, en invoquent quelques motifs : la botte d’herbes qui roule, le vent qui souffle dans le sable, l’immensité du paysage nu… Mais, sans musique (le film brille par son silence), réduit à des plans courts, l’imaginaire du western perd de sa superbe : il n’est plus que fantasmes d’un blessé qui comate, souvenirs élimés d’une Amérique victorieuse. Désormais empêtrés dans une guerre sale, les rêves de grandeur de l’empire états-unien achoppent sur une barrière invisible : le désert irakien ne représente plus une glorieuse frontière à dépasser, mais une vaste perdition où se fourvoie une Amérique trop sûre d’elle-même.
Cette mise en scène mettant en crise le point de vue du dominant oblige ce dernier à se repenser. Survient alors, au beau milieu d’un film de guerre, une vraie dimension cérébrale, presque fantasmatique, lorsque Isaac découvre que son adversaire a réussi à pirater sa radio et à communiquer avec lui. Les réactions du sergent vont d’abord de la haine envers l’Autre, du refus de lui parler, avant, sous la menace qu’il n’achève son camarade, de lui raconter sa vie, ses peurs, jusqu’aux histoires qu’ils n’avaient jamais racontées à personne.
Invisible, systématiquement en voix-off, l’ennemi se voit investi de fantasmes. Son aspect pervers – il s’amuse à jouer avec sa victime, à s’immiscer dans sa vie privée – se nuance progressivement, jusqu’à ce que le personnage devienne un confident paradoxal, à qui Isaac avoue son dégoût de la classe moyenne américaine, la routine qui le hante et l’a poussé à partir en Irak. Le mur du film se double alors d’un sens métaphorique : protection pour le sergent, obstacle pour le sniper, il se révèle également miroir, écran de projection de la psyché d’Isaac, et, à travers lui, de l’Amérique de Bush.
Par sa mise en crise du point de vue dominant – et finalement, contraignant pour les soldats qui en ont suivi aveuglément les principes –, The Wall sert de thérapie collective fictionnelle, dans la lignée des films de guerre post-Vietnam. Comme ce dernier conflit, la guerre d’Irak a montré les limites du bellicisme états-unien. Face à un hors-champ qu’on ne maîtrise pas – en témoignent la séquence du marché irakien dans Un jour dans la vie de Billy Lynn (Ang Lee, 2017), au cours de laquelle les soldats américains craignent que chaque passant ne dégaine une arme –, on ne peut pas fanfaronner. Fantasmatique, le hors-champ que travaille la mise en scène de The Wall réfléchit l’état de santé de l’Amérique : au-delà des discours triomphants de Bush, rappelés dans l’introduction du film, les fêlures sociales, morales, psychologiques mettent à mal l’identité mythifiée d’une nation qui s’est rêvée conquérante.