The Buttercup Chain

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L’hédonisme rencontre le grand mélodrame dans cette pépite anglaise méconnue.

Quand l’esthétique psyché-pop du Swinging London des 60’s rencontre le grand mélodrame, cela donne une œuvre tout à fait étonnante avec ce The Buttercup Chain. Le film intègre aussi des conflits romanesques classiques à l’aune de ce contexte de sexualité libérée, renforçant ainsi la puissance du drame. France (Hywel Bennett) et Margaret (Jane Asher) sont profondément liés depuis leur enfance, et ce depuis le jour de leur naissance, leurs mères étant sœurs jumelles. Ils ressentent la tendresse réciproque et la complicité d’un frère et d’une sœur, mais avec une ambiguïté nourrie de la possibilité d’un rapprochement moins fraternel et plus charnel. La superbe introduction tisse le lien indéfectible entre les deux cousins en quelques vignettes d’enfance et d’adolescence où nous comprenons clairement que ces deux-là ne se considèreront jamais que comme frère et sœur.

 

Tout le drame d’ensemble naîtra de leur tentation et de l’impossibilité pour eux de franchir l’interdit d’une vraie relation. L’histoire débute avec le retour de Margaret à Londres après ses études et ses retrouvailles avec France, avec qui elle va passer l’été. L’ambivalence de l’enfance est d’emblée mise à mal avec nos cousins désormais jeunes adultes séduisants et confrontés plus concrètement à leur attirance mutuelle. Si Margaret semble prête à céder et à tomber dans les bras de France, celui-ci dissimule son désir derrière une décontraction de façade et un rôle d’entremetteur, qui lui permet de provoquer le flirt entre Margaret et Fred (Sven-Bertil Taube), étudiant suédois en architecture installé en Angleterre. Bientôt viendra se joindre au trio Manny (Leigh Taylor-Young), jeune globe-trotteuse délurée qui elle va s’amouracher de France. Les deux nouveaux venus ne servent bien sûr que de barrière à l’amour ardent entre les cousins et auront à en souffrir. La première partie du film alterne énergie percutante, accompagnant les marivaudages et jeux de chaises musicales amoureux, et tonalité plus contemplative où la romance mais aussi le dépit naissent des non-dits, de la tension sexuelle constante entre Margaret et France. De vacances en Espagne au quotidien londonien en passant par des séjours à la campagne, la narration suit les rapports étranges du quatuor et la manière dont les couples s’échangent, se font et se défont.

Robert Ellis Miller et sa monteuse Thelma Connell proposent un montage inventif et typique des codes de l’époque avec des conversations démarrant dans un lieu pour se conclure dans un autre, ces rebonds géographiques pouvant même être temporels, sur plusieurs mois ou années, le lien se faisant par la dramaturgie et des idées visuelles surprenantes (France et Manny en pleine étreinte dans une campagne se répercutant en montage alterné sur un tableau qu’observent Fred et Margaret dans un musée). Cette perte de repères suit celle des personnages et des détours inattendus que prennent leurs relations – dont un mariage que l’on ne voit absolument pas venir -, la fougue et la liberté juvéniles de départ se fracassant dramatiquement contre les responsabilités et la mesure du monde des adultes. Robert Ellis Miller n’a de cesse au départ de coller ses protagonistes les uns aux autres, entretenant cet hédonisme et cette promiscuité de façade dans une insouciance dont personne n’est dupe. Sans verser dans l’excès, le film est très libéré dans la description des mœurs décomplexées de ses héros – les corps dénudés et les poses lascives sont légion – mais en les nimbant toujours de malaise et de cruauté. On pense à cette scène où Margaret fait l’amour en forêt avec Fred, devine la présence de France malheureux qui les observe, et du coup s’abandonne d’autant plus.

 

 

Le jeu amoureux ne cesse pas une fois le quatuor grandi et installé, mais les enjeux s’avèrent désormais plus risqués qu’un flirt innocent. Une noirceur vraiment surprenante se dévoile alors avec son lot de moments dérangeants. Visuellement le fossé entre les amis est magnifiquement montré le temps d’une séquence les disposant le long d’une falaise, la profondeur de champ et la somptueuse photo crépusculaire de Douglas Slocombe les séparant comme jamais. On passe ainsi d’une atmosphère lumineuse et de quasi rêve éveillé – la première rencontre en campagne baignant dans une photo diaphane – à un ton pesant, ténébreux, dont la dernière partie tout en silence et postures figées feraient presque penser, toutes proportions gardées, à du Bergman. Alors que toutes les scènes d’amour sont filmées dans leur amorce ou après leur assouvissement par des ellipses bien pensées, la seule qui s’étire et remue réellement est celle où après bien des épreuves, France et Margaret s’apprêtent à passer outre les entraves de la morale. Tout ce foisonnement d’idées est au service des superbes prestations des quatre acteurs. Le pivot émotionnel du film tient dans l’interprétation à fleur de peau de Jane Asher, mêlant angoisse et sensualité troublante, ainsi que dans la prestation de Leigh Taylor-Young, faisant de cette Manny délurée le symbole de tous les renoncements et douleurs des héros le temps d’une glaciale séquence en boîte de nuit. Hywel Bennett impose son aisance et son charisme pour se désagréger de façon poignante sur la fin, et le suédois Sven-Bertil Taube, sous ses allures de roc, est sans doute le protagoniste le plus tragique et sacrifié de l’intrigue. Vraiment un très beau film, à rapprocher du Petulia (1968) de Richard Lester dans ce croisement de tourments existentiels et d’imagerie bariolée  – redisons-le encore : photo assez phénoménale de Douglas Slocombe.

Titre original : The Buttercup Chain

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Durée : 95 mn


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