Sur la planche comme sur un fil, l’essentiel étant de tomber du bon côté. L’adhésion au film de Leïla Kilani repose bien sur ce cas de figure. Ici pas de demi mesure, soit l’on est éjecté de la narration par son incision soit l’on est happé par sa sombre intrigue. Remarqué à Cannes lors de la dernière Quinzaine des réalisateurs, Sur la planche ne peut laisser indifférent, tant ses parti-pris scénaristiques et techniques sont riches. Le film trace le parcours de quatre jeunes filles dans la ville portuaire de Tanger, où les matières premières arrivent sans cesse pour être travaillées dans les usines alentour : crevettes, textiles tout y passe dans le cadre d’une économie de marché. Même le corps humain devient une marchandise. Fraîchement débarquées de leurs campagne pour trouver du travail, les héroïnes travaillent toutes les quatre dans ces usines et le soir venu, pour arrondir les fins de mois, vendent leur corps à la jeunesse aisée et mafieuse de Tanger. Elles brûlent la chandelle par les deux bouts afin d’accéder à une vie idyllique. Kilani capte la jeunesse désemparée de cette ville et la filme sans ménagement ni condescendance. Et c’est justement cela qui fait toute la force du film et sa puissance. La réalisatrice ne juge pas ses protagonistes comme elle ne compatit pas devant leurs actions. Les filles doivent se ranger après un dernier gros coup : voler une cargaison d’iPhone. Sur la planche sera le pendant, l’équivalent d’un interrogatoire mené par la réalisatrice et les spectateurs afin des comprendre les tenants et les aboutissants de cette jeunesse désemparée.
Auréolé d’une mise en scène dynamique, le film ne fait que croître dans la violence des images. Caméra portée, toujours en mouvement, la mise en scène comme les personnages ne se posent jamais. Et c’est peut-être ce qui peut par moments exaspérer. Sur la planche asphyxie, renie la détente. Toujours sur le qui-vive, les protagonistes jouent une course contre la vie. Le manque d’air comme le manque d’espace laissé par la réalisatrice, les cadres étroits, l’appartement exigu, ne laissent aucune place à un hors champs libérateur et plein de promesses d’avenir. Car ce qui compte dans Sur la planche, ce n’est pas la possibilité d’une sortie mais l’instant présent, la cristallisation d’une époque. Tout cela se cristallise dans le personnage principal, magnifiquement interprété par Soufia Issami, fil électrique incontrôlable qui ne veut pas finir « femme-crevette », comme elle définit son emploi dans l’usine de décorticage. Son jeu comme la mise en scène sont incisifs. Avec sa cadence effrénée et son rythme soutenu, Sur la planche ne laisse pas la place au second souffle, celui que l’on reprend après un effort intense. C’est en cela que sous certains aspects, le film peut éjecter le spectateur de sa projection. On en ressort épuisé, comme d’une course de fond que l’on sait ne jamais pouvoir gagner.
Loin de se satisfaire des clichés sur la jeunesse des pays arabes, ce film va plus loin qu’une simple chronique cinématographique. C’est avec dextérité et enthousiasme que Leïla Kilani dresse le portrait sans concession ni masques d’une jeunesse aux abois. Ce film magnifique, loin des stéréotypes, transcende ses personnages et sa vision de la ville dans une mise en scène se refusant volontairement respiration. On sort épuisé, à bout de souffle de ce spectacle plein de vie, mettant en lumière avec force grâce tous les affres de la jeunesse.