Sous les figues

Article écrit par

Du Marivaux en Tunisie sous les figuiers un jour d’été.

Dans la veine de Kechiche

Avec ce documentaire scénarisé présenté à la Quinzaine, Erige Sehiri nous propose un magnifique portrait de femmes et d’hommes qui cueillent des figues dans un verger, mais aussi un portrait doux amer de la Tunisie contemporaine. Constitué de tableaux divers magnifiquement mis en images par la directrice de la photo, Frida Marzouk, Sous les figues est un vibrant hommage à Abdellatif Kechiche. Une des coscénaristes et monteuses du film est d’ailleurs Ghalya Lacroix qui a participé à l’écriture de la plupart des films du maître dont elle est la compagne. Enfin, on y découvre la beauté de ces jeunes filles dont l’une, avec son foulard, évoque souvent le portrait de La Jeune fille à la perle, tout comme le personnage principal, Fidé, est aussi belle dans sa sensualité et son port de princesse que Leila Bekhti.

Conter fleurette et désirer

Pourtant, il n’y a aucun acteur professionnel dans ce film et les personnages sont tels qu’ils sont dans la vraie vie. Le film raconte la journée d’un groupe de cueilleurs de figues, ce fruit qui en fait est une douce fleur portée par un arbre à la feuille rude et à la fragilité étonnante des branches qui peuvent se casser comme du verre. C’est sous ce dôme de verdure que les travailleurs ont trouvé un refuge pour flirter, s’aimer, se charmer comme dans une pièce de Marivaux même si certains sentiments masculins à l’endroit des jeunes filles peuvent se montrer durs et violents. « Je me retrouvais tout à fait dans le film LEsquive car j’ai grandi, comme les personnages, dans une banlieue française, se confie la réalisatrice dans le dossier de presse du film. Dans ce film, les jeunes répètent une pièce de Marivaux d’ailleurs ! Le marivaudage des quartiers fait écho à ce marivaudage de la campagne où se trouvent aussi mes origines. »

Des filles trop souvent invisibles

Cependant, Erige Sehiri a préféré garder le charme de cette journée au sein de la nature, en montrant des jeunes filles fortes et gaies, même si ces femmes sont entassées comme du bétail au petit matin dans la camionnette d’un patron à la fois indolent et sévère. Le figuier est d’ailleurs une belle métaphore puisqu’il contient au même moment des fruits verts, des fruits mûrs et des fruits pourris qu’il faut pouvoir choisir. Sur une belle musique d’Amine Bouhafa, et des chants populaires dont L’Estaca née sous Franco, la réalisatrice est parvenue à nous faire adorer ce petit coin du Nord-Ouest de la Tunisie berbère et sauvage en pleine mutation : « Ces ouvrières agricoles m’ont émue. J’ai discuté avec elles de ce qu’elles vivent au quotidien, de leur manière de travailler, de leurs relations avec les hommes, du patriarcat : il y avait déjà tellement de matière ! Je tenais à donner un visage à ces travailleuses habituellement invisibles. » Le film représentera d’ailleurs la Tunisie aux Oscars américains et on lui souhaite d’ores et déjà bonne chance. Erige Sehiri n’est pas une novice : elle est une réalisatrice et productrice franco-tunisienne. Avec sa société de production, HENIA, elle développe des documentaires d’auteur, récompensés notamment à Visions du Réel, l’IDFA, Cinémed…

Réalisateur :

Acteurs : , ,

Année :

Genre :

Pays :


Partager:

Twitter Facebook

Lire aussi

L’étrange obsession: l’emprise du désir inassouvi

L’étrange obsession: l’emprise du désir inassouvi

« L’étrange obsession » autopsie sans concessions et de manière incisive, comme au scalpel ,la vanité et le narcissisme à travers l’obsession sexuelle et la quête vaine de jouvence éternelle d’un homme vieillissant, impuissant à satisfaire sa jeune épouse. En adaptant librement l’écrivain licencieux Junichiro Tanizaki, Kon Ichikawa signe une nouvelle « écranisation » littéraire dans un cinémascope aux tons de pastel qui navigue ingénieusement entre comédie noire provocatrice, farce macabre et thriller psychologique hitchcockien. Analyse quasi freudienne d’un cas de dépendance morbide à la sensualité..

Les derniers jours de Mussolini: un baroud du déshonneur

Les derniers jours de Mussolini: un baroud du déshonneur

« Les derniers jours de Mussolini » adopte la forme d’un docudrame ou docufiction pour, semble-t-il, mieux appréhender un imbroglio et une conjonction de faits complexes à élucider au gré de thèses contradictoires encore âprement discutées par l’exégèse historique et les historiographes. Dans quelles circonstances Benito Mussolini a-t-il été capturé pour être ensuite exécuté sommairement avec sa maîtresse Clara Petacci avant que leurs dépouilles mortelles et celles de dignitaires fascistes ne soient exhibées à la vindicte populaire et mutilées en place publique ? Le film-enquête suit pas à pas la traque inexorable d’un tyran déchu, lâché par ses anciens affidés, refusant la reddition sans conditions et acculé à une fuite en avant pathétique autant que désespérée. Rembobinage…