Scarlett Johansson, à corps majeur

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<< Les gens pensent que je suis futile, mais ce n'est pas le cas >> (Magazine Spin). Confirmation. Scarlett Johansson c´est le versant positif de la modernité, splendide et engagé.

Si tout a été écrit sur Scarlett Johansson, fantasme vivant du XXIe siècle (The Teenagers ou The Jai Alai Savant lui ont consacré une chanson), tout passe par l’image. Iconographie de la sensualité poussée à son paroxysme, l’actrice impressionne par la candeur d’un corps qui incarne la féminité : une bouche à faire frelater le botox labial de Meg Ryan, un teint laiteux aux sensations si pures, une voix caverneuse aux envolées chantantes des soulwomen de la Nouvelle-Orléans, un profil vermeerien, vernonien ou gottlibien selon l’heure et les saisons…les références pleuvent jusqu’à atteindre parfois le rapprochement ultime avec Marilyn Monroe.

Diplômée de théâtre à la Professional Children’s School de Manhattan (2002), un young Star Award en poche (délivré par The Hollywood Reporter pour son rôle de Grace dans L’homme qui murmurait à l’oreille des chevaux), deux nominations aux Golden Globes (Lost in Translation, La jeune fille à la perle) et une aux Oscars, rien ne prédestinait pourtant la jeune femme au succès. Certes, une passion pour des actrices telles que Judith Garland ou Rosalind Russell peuplait les rêves de la cinéphile Scarlett, mais un environnement familial à 100.000 lieues du monde du cinéma ne devait laisser présager une carrière qui s’annonce aussi généreuse que les formes de l’actrice.

23 ans tout juste mais un condensé harmonieux de maturité et de fraîcheur à faire tourner la tête du plus asexué des lémuriens. De ses origines danoises, Scarlett a gardé le charme des sirènes d’Andersen. Woody Allen ne s’est pas trompé, la prenant pour muse et la dirigeant maladroitement d’abord dans Scoop avant de lui proposer un rôle à la mesure de son talent dans Match Point, en tirant parti de cette sensualité (sexualité) transpirant à chaque frémissement de corps (en attendant leur 3e collaboration, Untitled Spanish Project)

Corps tronqué et amputé dans L’homme qui murmurait à l’oreille des chevaux, corps criblé de balles dans Match Point, corps échappant de peu à la noyade dans Scoop, corps en perdition dans Lost in translation… comme si aucun film ne pouvait assumer cette posture du désir sur la longueur.
Tout pourrait finalement n’être qu’une histoire de corps si la jeune femme n’y apportait du cœur et une présence qui se détache de sa seule anatomie.

De jeune femme sensible et vulnérable dans un Tokyo oppressant et embarquée dans une relation œdipienne avec Bill Murray, en spectre du désir de Jonathan Rhys Meyer dans un de ces films marqués au fer rouge (passion) par Woody Allen, de muse picturale (La jeune Fille à la perle) à enfant courageuse et volontaire (L’homme qui murmurait à l’oreille des chevaux), l’actrice n’excelle jamais autant que lorsqu’elle compose des personnages nostalgiques et évaporés dans une perplexité et une nébuleuse de questionnements. Mais on se prend à rêver d’une Scarlett Johansson, illuminant à la Cameron Diaz une vraie comédie potache comme l’avait laissé entrevoir son rôle de mutine délurée dans Scoop ou dans un univers plus onirique à la David Lynch (sauce Mullholland Drive ou Twin Peaks).

Difficile alors de comprendre les choix anachroniques de certains réalisateurs de l’enfermer dans des rôles de potiches historiques avec carcans sociaux et retenue qui étouffent sa fraîcheur. Libre, rebelle, indépendante, Scarlett Johansson ne trouve sa pleine mesure que dans les films qui exploitent sa modernité à la lisière du futurisme. Les grandes enseignes ne se sont pas trompées, exploitant cette composante pour dépoussiérer une image de marque souvent vieillissante : CK, L. Vuitton, L’Oréal en ont fait leur égérie tandis que Reebok lui laissait carte blanche pour créer ses « Scarlett Hearts Rbk ».

Scarlett Johansson, c’est aussi la séduction par la voix. Quand subitement la bouche se détache du corps. Quand les sonorités restent accrochées à la gorge pour soudain s’envoler. Un timbre rocailleux et jazzy qui épouse maintenant les harmonies de Tom Waits dans Anywhere I Lay My Head (sortie le 20 mai). Le défi est courageux et les premières critiques dithyrambiques. Son Summertime était déjà transportant, elle semble récidiver de la plus belle des manières, en prêtresse de l’underground (Clin d’œil à Ghost World, 2002) et en muse émancipée.

Actrice, chanteuse, égérie, réalisatrice (elle déclare son amour de Big Apple dans un court métrage pour NY, I love you, le pendant américain de Paris, Je t’aime)…et artiste engagée. Mais pas de cet engagement irréfléchi et d’apparence, trop répandu dans le milieu du cinéma. A corps perdu, elle affiche une confiance totale en Barack Obama, apparaissant sur une vidéo de soutien du candidat démocrate et n’hésitant pas à dévoiler ses convictions politiques dans une course à l’investiture qui frise le show hollywoodien avec appariements et casting de rêve. L’actrice se donne corps et biens pour de nombreuses causes, et n’a d’ailleurs pas hésité à mettre aux enchères une soirée en sa compagnie au profit de l’oxfam (Oxford Commitee for Famine Relief). Un engagement à faire se damner un saint.

Analyser l’attraction Scarlett Johansson, c’est réaliser une chromatographie du désir, c’est comprendre la mécanique des fluides, c’est se perdre dans l’inexplicable. La petite fille qui tenait la vedette dans la pièce Sophistry aux côtés d’Ethan Hawke à Broadway en 1994, a bien grandi et marche sur les traces de Marilyn Monroe, malgré les forces et faiblesses qui fissurent une carapace immaculée, et avec ce petit supplément d’âme qui permet de se détacher de l’image pour atteindre le personnage. Le XXIe siècle ne savait plus à quel saint (ou à quel sein?!) se vouer, il tient sûrement ici sa muse. Et quelle muse.
 


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