Rencontre avec Yann Gonzalez

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Ses « Rencontres d’après minuit » sont l’une des plus belles surprises de l’année : rencontre (avant midi) avec Yann Gonzalez.

Ses courts métrages ont été montrés dans les festivals du monde entier. En près de dix ans, Yann Gonzalez a su affirmer un style anti-naturaliste et romantique en usant de textes lyriques, de décors artificiels et de ressorts fantastiques. Réalisateur à part, il s’inscrit dans une histoire moins connue du cinéma français, celle qui pourrait relier Paul Vecchiali, Jean-Claude Brisseau et Guy Gilles. Les Rencontres d’après minuit, son premier long métrage, sort ce mercredi. Rencontre en mai dernier à Cannes, où le film était présenté à la Semaine de la Critique.

Qu’est-ce qu’une rencontre d’après minuit a de différent d’une rencontre qui se fait la journée ?

Tout y paraît différent : la nuit est propice aux rêves, au fantastique, aux fantasmes. Les gens qui y habitent sont plus singuliers. J’ai l’impression que mon univers appartient tout à fait à la nuit.

Les Rencontres d’après minuit rappelle Les Astres noirs [court métrage dans lequel il a dirigé Julien Doré en 2009, ndlr]. L’histoire se déroule en une nuit, les personnages y font un voyage initiatique…

C’est vrai. J’ai commencé à travailler sur le scénario juste après avoir terminé Les Astres noirs. Cependant, dans Les Rencontres d’après minuit, les personnages sont plus vivants que jamais à la fin de la nuit. C’est une nuit qui transfigure ; dans Les Astres noirs, c’était une nuit qui engloutissait les personnages.

Au début de Les Rencontres d’après minuit, les personnages préparent une orgie. Le film est en réalité très romantique.

Je suis un grand sentimental. La sexualité est pour moi toujours liée à l’affect. C’est effectivement un film très doux. La violence et la rage à laquelle on pouvait s’attendre au départ sont très vite évacuées – elles ne m’intéressent pas plus que ça. Pendant l’écriture, j’ai pensé à The Breakfast Club (1985) de John Hughes. J’avais vraiment envie de retrouver cette douceur, ces âmes qui se rencontrent alors que tout oppose les personnages.

On pense parfois à La Nuit du chasseur (Charles Laughton, 1955) dans l’alternance des décors naturels et de studios, mais également parce que les personnages tirent des leçons à la fin du film…

Ce qui est sûr, c’est qu’il y a quelque chose de très classique dans mon film, que ce soit dans le traitement des personnages ou du point de vue de la dramaturgie. Quand les gens qui connaissent mon travail voient le film, ça les surprend souvent. Je m’étais fixé le pari d’écrire un récit qui se tenait sur la longueur. Je cherchais aussi plus de légèreté que sur mes films précédents. Cependant, quand on écrit, on ne se pose pas la question du classicisme ou de l’avant-garde. D’ailleurs, je ne sais pas si ça veut dire grand-chose au final.

 

Kate Moran, Julie Brémond et Niels Schneider

 

Croyez-vous qu’une avant-garde soit encore possible aujourd’hui ? Qu’on peut encore y réfléchir ?

J’ai l’impression que tout a déjà été fait. Là où on peut encore inventer aujourd’hui, c’est dans les raccords. Un raccord est une création. On peut y trouver une hybridité, une bizarrerie. Ici, je prends des gens que je connais, avec lesquels j’ai déjà travaillé [Kate Moran, Julie Brémond, ndlr], et puis tout à coup, je fais débarquer Cantona ou le fils Delon. Je trouve que ça crée des réactions, des alchimies bizarres. C’est ça qui m’excite. Ils se mettent à former une famille étrange. Je crois que c’est un trajet commun à plusieurs de mes films mais dans Les Rencontres d’après minuit, c’est encore plus frontal. On part de personnages aussi clichés que La Chienne, L’Étalon, La Star et au fur et à mesure ils s’affranchissent de cette distance initiale. J’essaye d’arriver au cœur du personnage, au sentiment. Je cherche leur vibration intérieure.

Le côté théâtral de votre cinéma est aussi une forme d’hybridité…

Oui, c’est la même idée que pour le traitement des personnages. Cette distance de la théâtralité me plaît comme point de départ du film. Ensuite, j’aime ajouter du cinéma, de la musique, des mouvements de caméra. Faire en sorte qu’on oublie le théâtre pour retrouver le cinéma.

Pourtant, le moment le plus théâtral se niche à la toute fin, pendant le long monologue de Kate Moran. Ce sont ses mots qui sauvent et qui réconfortent, plus qu’une image cinématographique.

C’est marrant que vous pensiez ça. Cette scène est une des rares à avoir été tournée en décor naturel. Pour moi, le goût du verbe n’est pas forcément quelque chose de théâtral.

Le cinéma pourrait être une littérature ?

Oui. D’ailleurs, j’étais plongé dans la littérature des années 1920 quand j’ai écrit le scénario. Le titre du film est inspiré d’un roman fantôme de Mireille Havet, écrivain au destin assez tragique. Elle avait écrit un roman qui s’appelait Les Rencontres d’après minuit que nous n’avons jamais retrouvé. On l’avait complètement oubliée avant de retrouver son journal dans les années 1990. C’est sans doute la chose qui m’a le plus bouleversé en littérature depuis très longtemps. Chaque fois que je le relis, je pleure. Un de mes prochains projets sera d’ailleurs d’adapter ce journal au cinéma. Autour d’elle, il y avait des écrivains comme René Crevel ou Jean Cocteau. Ces écrivains décadents des Années folles me plaisent beaucoup. J’ai repris certains de leurs mots dans les monologues des personnages du film. J’aime bien cette façon de greffer des choses de la littérature au cinéma. Encore quelque chose qui crée des raccords…

Vous utilisez beaucoup d’artifices dans votre film. Vous semblez vous méfier du réalisme. Un de vos personnages pose la question de savoir si nous avons perdu notre faculté de croire en des histoires. Le pensez-vous ?

Oui. Je pense qu’aujourd’hui, il y a un déficit de croyance au cinéma. Tout est souvent lisse ou trop parfait pour moi. Les films qui me font rêver sont vraiment ceux qui ont une croyance un peu artisanale dans le cinéma des origines : les ouvertures à l’iris, les fondus enchaînés… Pour beaucoup, tout ça paraît un peu artificiel alors que ça raconte quelque chose des personnages, du moment où on en est dans le récit… Ce n’est pas uniquement posé là pour faire joli ! Quelque part, j’essaye aussi de faire des films pour le spectateur que je suis. Des films que j’aurais envie de voir. Je crois également au destin d’un film. Même quand on a des accidents au casting ou lors du tournage, je pense qu’il y a une sorte d’ange gardien qui fait que le film ressemble toujours à ce qu’il doit être pour le mieux. Par exemple, pour nos rares scènes en extérieur, nous avons eu un jour de neige. Le résultat aurait été très différent sans ça !

 

Éric Cantona et Fabienne Babe


Est-ce important de se soucier du public quand on fait du cinéma ?

Oui, mais a posteriori. Au montage par exemple, quand on se pose des questions comme : « Est-ce que le spectateur comprendra-t-il telle ou telle chose » ? Mais pas avant. Et puis, de quel public parle-t-on ? Comment est-il constitué ? Cette question est complexe. Mais c’est vrai que je prends vraiment mon pied quand je regarde mon film terminé. Quand je redeviens spectateur en quelque sorte. Je prends du plaisir à l’écriture, je le perds totalement pendant le tournage – une souffrance – et je commence à le retrouver au montage.

À un moment, deux personnages se retrouvent seuls dans un cinéma sans public… Créez-vous des images pour qu’elles soient vues au cinéma, ou pensez-vous déjà à les constituer pour un autre support, téléphone, ordinateur ?

J’espère que ce n’est pas ce qui attend le film à sa sortie ! Un film peut très bien être vu en DVD, bien sûr. Mais le cheminement d’un film aujourd’hui me convient plutôt quand il est d’abord visible en salles. Qu’après il vive sa vie sur Internet, je m’en fous. Même si le DVD est toujours une version dégradée du film…

À cause de l’absence d’expérience collective ?

C’est moins chaleureux de le voir tout seul. Moins doux aussi. La salle reste le temple du cinéma.

Propos recueillis au Festival de Cannes par Victor Dekyvère et Jean-Baptiste Viaud – Mai 2013

À lire :
la critique de Les Rencontres après minuit.

Titre original : Les Rencontres d'après minuit

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Durée : 93 mn


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