Loin du portrait habituel de Los Angeles proposé à l´écran, une balade douce et mélancolique qui recompose la solitude d´une femme morte anonymement.
Ce pourrait être l’adaptation cinématographique d’un roman ou d’une nouvelle de l’écrivain américaine Carson McCullers. Pursuit of loneliness n’est pas loin à la fois des titres de ses livres (Le Coeur est un chasseur solitaire ou La Ballade du Café Triste) et d’une poésie de la solitude qui émerge de portraits croqués d’anonymes des villes. Dans ce second long métrage fictionnel de Laurence Thrush, déjà réalisateur du filmDe l’autre côté de la porte (2008), nous sommes amenés à suivre le parcours, sur une journée, de trois personnages à la recherche des proches d’une femme âgée tout juste décédée, Cynthia Ratsch, dont on sait peu. Rien de « personnel » dans cette investigation motivée par un protocole officiel et menée par une infirmière, une assistante sociale et un enquêteur des services publics. En s’arrêtant sur ce sujet peu exploré, lié au travail du coroner, le film rend compte avec réalisme et finesse de l’équilibre sur lequel repose cette démarche : tâche administrative à la nécessité pragmatique, elle marque par sa considération humaine.
Cette sensation d’altruisme naît sans doute du choix du cinéaste de faire osciller son film entre le documentaire et la fiction. Tourné au cœur d’un véritable hôpital, suivant une journée quasiment en temps réel, avec des acteurs non professionnels – pour certains interprétant leur propre rôle à l’écran -, le film suit les conversations techniques qui rythment les différents services, leur quotidienneté et routine. Entre les appels téléphoniques, la mise en regard des différents départements, il nous donne à voir les rouages d’une telle structure et du protocole de suivi d’un décès. A partir de ce canevas de données véridiques, Laurence Thrush construit son film à partir d’une esthétique qui l’emmène vers un terrain cinématographique plus fictionnel et poétique.
A commencer par le noir et blanc qui accompagne l’œuvre. Sans déréaliser les scènes, il les subjectivise davantage, renforce la lourdeur de l’événement dont il est question tout en le maintenant à distance. En témoigne la répétition de plans fixes comme la présence importante de sons d’ambiance qui viennent marquer la normalité du déroulement ainsi que son caractère lancinant. Moins désenchanté que les œuvres de Carson McCullers, Pursuit of Loneliness offre une rare et précieuse vision de Los Angeles, faisant intervenir les diverses ethnies qui la compose à rebours de certains stéréotypes wasp. Le noir et blanc met en valeur la lumière surexposée de la ville, son temps perpétuellement beau. Cette lumière qui tient tête, prise dans un Los Angeles ici calme et relativement désert, renforce la solitude humaine qui sous-tend le film, tout en la rendant respirable par cet ensoleillement saturé. Cynthia Ratsch meurt en anonyme donc, dame vieillie vêtue d’une longue robe fleurie et toujours flanquée de ses deux chiens, qui seront le fil conducteur vers son existence pour les services administratifs : dans la scène d’ouverture du film, elle leur fait mettre précautionneusement une puce pour ne pas les perdre avant de les confier à une voisine. Elle disparaît, non sans qu’auparavant le cinéaste ait parsemé son film de quelques scènes la montrant vaquer à sa vie, rafraichissant sa coupe dans un salon de coiffure d’un ton enjoué, ou soufflant à porter ses sacs en rentrant chez elle. C’est une petite maison à l’intérieur de capharnaüm, dont on pourrait presque sentir le renfermé face à la chaleur, que découvre l’employée chargée de faire l’inventaire de son lieu de vie afin de retrouver plus d’informations sur son identité.
Empreint de mélancolie sans être moribond, placide mais tendre, sans fioriture, le film déroule le trajet parcouru vers ceux dont les vies solitaires demeurent oubliées et inconnues de la société et dont, à travers ce type de protocole, elle vient hélas se préoccuper trop tard. Son souci d’authenticité comme sa construction plastique viennent redonner une présence à des existences qui se dénouent dans une indifférence générale. On ne peut que se réjouir que Pursuit loneliness, sorti au Etats-Unis en 2012, trouve à être distribué sur les écrans français et échappe ainsi à l’anonymat dont a souffert le personnage de Cynthia Ratsch.
Merveilleusement servi par des interprètes de premier plan (Gene Tierney, Rex Harrison, George Sanders) sur une musique inoubliable de Bernard Herrmann, L’Aventure de Madame Muir reste un chef d’œuvre inégalé du Septième art, un film d’une intrigante beauté, et une méditation profondément poétique sur le rêve et la réalité, et sur l’inexorable passage du temps.
Autopsie grinçante de la « dolce vita » d’une top-modèle asséchée par ses relations avec des hommes influents, Darling chérie est une oeuvre générationnelle qui interroge sur les choix d’émancipation laissés à une gente féminine dans la dépendance d’une société sexiste. Au coeur du Londres branché des années 60, son ascension fulgurante, facilitée par un carriérisme décomplexé, va précipiter sa désespérance morale. Par la stylisation d’un microcosme superficiel, John Schlesinger brosse la satire sociale d’une époque effervescente en prélude au Blow-up d’Antonioni qui sortira l’année suivante en 1966.
En 1958, alors dans la phase de postproduction de son film et sous la pression des studios Universal qualifiant l’oeuvre de « provocatrice », Orson Welles, assiste, impuissant, à la refonte de sa mise en scène de La soif du mal. La puissance suggestive de ce qui constituera son « chant du cygne hollywoodien » a scellé définitivement son sort dans un bannissement virtuel. A sa sortie, les critiques n’ont pas su voir à quel point le cinéaste était visionnaire et en avance sur son temps. Ils jugent la mise en scène inaboutie et peu substantielle. En 1998, soit 40 ans plus tard et 13 ans après la disparition de son metteur en scène mythique, sur ses directives, une version longue sort qui restitue à la noirceur terminale de ce « pulp thriller » toute la démesure shakespearienne voulue par l’auteur. Réévaluation…
Lundi 7 juillet, au cours d’une cérémonie à la cinémathèque française, un long métrage et un court métrage se verront attribués le prix Jean Vigo, 2025. Wang Bing sera également récompensé pour l’ensemble de son œuvre.