Promets-moi (Zavet)

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Pour son dernier conte, Emir Kusturica exploite clairement les ficelles du burlesque, quitte à se délester de la profondeur de son lyrisme d´antan. Promets-moi ou la recherche d´un nouvel équilibre ?

Maître incontesté du joyeux désordre organisé, Emir Kusturica a la capacité de transformer en rayon de soleil la plus terne des journées. Empreints d’un sentiment de vie profondément communicatif, ses films sont néanmoins toujours teintés d’un fond politique acide. Promets-moi s’inscrit dès les premières images dans leurs lignées.

Aux fins fonds des collines de Serbie, dans la douceur d’un chalet, un vieillard et son petit fils mènent une existence surréaliste. A la manière d’un professeur Tournesol déjanté, le grand-père collectionne les inventions farfelues qu’il teste à tout va sur le jeune Tsane. Un jour, avant de s’aventurer en ville, l’adolescent fait trois promesses à son grand-père. Il devra vendre sa vache, rapporter une icône religieuse ainsi que… sa future épouse !

La dualité entamée dans Chat noir Chat blanc ressurgit automatiquement dans les esprits. Les plus âgés protègent les plus jeunes, les mariages empiètent sur les enterrements et les histoires d’amour se croisent (celle de Tsane et Jasna en ville, et celle du grand-père et l’institutrice à la campagne). Comme à l’accoutumée, les scènes sont rythmées par le folklore bruyant d’une fanfare. La pellicule hyper colorée s’enflamme pour un bain de pommes mûres ou pour le sourire malicieux de Jasna. Les détours aériens d’un homme-canon propulsé depuis la ville (délicieuse idée !) marquent le passage du temps entre les séquences. Les animaux, éléments essentiels de l’univers kusturicien, participent du décor acidulé. Sans oublier les festivités finales qui sonnent le fameux happy-end dans une énergie explosive assourdissante (coups de feu et trompettes font rarement bon ménage).

Les ressemblances avec la filmographie passée du réalisateur se limitent à cela. L’équilibre comico-poétique, largement réussi dans Chat Noir Chat blanc, ou plus anciennement dans Arizona Dream, se rompt avec Promets-moi. Le film glisse progressivement dans un burlesque poussé à l’extrême où gags, grimaces et répliques graveleuses s’accumulent.

Sexualité et violence envahissent les séquences avec les « ennemis » (dont Miki Manojlovic d’Underground) qui affichent sans complexe leur zoophilie et autres perversités douteuses. L’idylle entre les deux adolescents, fil conducteur de l’histoire, apparaît soudain comme l’île de tendresse à préserver au milieu du chaos ambiant. Filmer le conflit et la destruction pour valoriser la paix et l’innocence, voilà qui rappelle des souvenirs… Kusturica rejoue Chat noir Chat blanc en forçant néanmoins le trait.

La recherche de l’équilibre se traduit visuellement par des scènes où les personnages flottent dans le vide, rattachés vainement à une poulie, avant de s’écraser au sol. Les corps voltigent, ondulent et choient, au gré d’un réalisateur au sommet de sa frénésie délirante et onirique. Et tandis que les comiques de gestes et de situations fleurissent jusqu’à ne plus provoquer le rire, les parfums corrosifs d’antan s’évaporent. Les interrogations politiques et existentielles se dispersent (quelques répliques ici et là). Le premier degré prend le pas sur la subtilité, le burlesque sur la poésie.

Avec Promets-moi, Emir Kusturica reprend jusqu’à l’écoeurement toutes les figures qui ont fait son style. Le résultat est finalement de la pure parodie, celle de son cinéma. Mais dans quel but ? Le cinéaste serait-il las d’être attendu dans les salles comme le doux rêveur nanti d’orchestres joyeux et de personnages hauts en couleur ?

Promets-moi s’appréhende comme un tournant, voire une rupture dans le style du réalisateur. Une pause farceuse avant la suite ? Pourquoi pas… Kusturica réitère sciemment sa promesse : étonner, encore.

Titre original : Zavet

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Durée : 128 mn


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