Police (1985)

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Le réalisme cru rencontre le romanesque le plus inattendu sous le regard de Maurice Pialat.

Après le succès de À nos amours (1983), Maurice Pialat éprouve le désir de réaliser un « film d’hommes ». Ses réussites en salles vont lui permettre d’obtenir un budget plus conséquent et de bénéficier d’un casting prestigieux, ici avec le couple que forment Gérard Depardieu, déjà dirigé dans Loulou (1980), et Sophie Marceau, qui amorce une carrière plus adulte. En dépit de ce confort, la préparation du film sera aussi chaotique que son tournage futur (brusquerie de Pialat envers Sophie Marceau, brouille avec Richard Anconina), prédispositions presque habituelles pour un film de Maurice Pialat. Police devait au départ être l’adaptation d’une série noire américaine mais Pialat a finalement souhaité se détacher de la rigueur et des codes du polar afin de privilégier la spontanéité. Il dépêche donc son amie Catherine Breillat au scénario (ce qui est paradoxal pour un film voulu « d’hommes »), laquelle repartira de la base du roman pour construire une trame originale, inscrite dans un contexte français, et qui sera également plus conforme à ses propres préoccupations. Peu intéressée par le genre policier, elle effectuera pourtant un rigoureux travail de recherche en accompagnant un ami avocat sur différentes affaires menées au commissariat de Belleville. L’ensemble de Police reprend ainsi des pans entiers de réelles situations auxquelles elle a assisté, notamment celles troubles du personnage de Noria incarné dans le film par Sophie Marceau. Police est ainsi une œuvre un peu schizophrène, partagée entre une vraie trame de polar au traitement documentaire assez inédit jusque-là et une dimension romanesque surprenante, apportée par Catherine Breillat, qui l’éloigne du projet initial.

 

 

La première partie du film est un modèle du genre de par sa rigueur et son réalisme. L’inspecteur Mangin (Gérard Depardieu), à coups de roublardise, d’intimidation et d’interrogatoire musclé, remonte la piste d’un trafic de drogue dont l’un des pontes est acoquiné à la mystérieuse Noria (Sophie Marceau). Tout dans ce segment du récit respire l’authenticité, notamment le sentiment d’attente régnant au sein du commissariat, qui est autant dû aux lourdeurs administratives qu’à la volonté des policiers de faire mariner les suspects qu’ils cuisinent. Là aussi les interrogatoires oscillent entre prise au piège du suspect voyant les preuves accablantes se cumuler et explosions de violence les acculant et les faisant vaciller. Sophie Marceau en fera les frais, poussée à bout par Pialat lors de sa scène d’interrogatoire où Gérard Depardieu lui assènera de vraies gifles, méthode assez radicale qui rendra en tous cas le malaise visible à l’écran en aboutissant sur une séquence d’une intensité incroyable. Le monde de la rue est traité avec le même souci de véracité, avec ces paumés ordinaires (Sandrine Bonnaire dans un petit rôle de prostituée) et cette première couche du grand banditisme représentée par des immigrants tunisiens. Les limites semblent donc bien établies mais l’amitié entre l’inspecteur Mangin et maître Lambert, un avocat de truands incarné par Richard Anconina, démontre pourtant que les frontières entre le légal et l’illégal sont plus ténues. Après la rigueur qui a précédé, Pialat ose ainsi une seconde partie à la trame bien plus lâche, où l’exploration des fêlures de ses personnages l’intéresse bien plus que le réalisme de sa trame policière.
 
 

 

Tous les personnages reposent sur une dualité qui les rend insaisissables et donc humains, leur faisant dépasser leur simple fonction de policiers ou de voyous. Mangin, capable du machisme le plus balourd, peut s’avérer un être vulnérable, sa sensibilité à fleur de peau explosant par exemple lors d’une incroyable scène d’amour en voiture avec Sophie Marceau – dans son meilleur rôle et de loin. Cette dernière, de par ses actes, a tous les atours de la femme fatale, mais la froideur de ses calculs et de ses mensonges s’effondrera lorsqu’elle succombera, sincèrement, au charme rude de Mangin. Tous deux, paumés, transcendent leurs archétypes par leur amour, Pialat osant les rebondissements les plus improbables en préférant nourrir la dimension romanesque du récit (la scène d’amour en plein commissariat) plutôt que son réalisme. Si Police sera le modèle de nombre de polars « documentaires » à venir – L.627 (1992) de Bertrand Tavernier, le référencé Polisse (2011) de Maïwenn -, les successeurs s’avéreront bien plus rigoureux et le film de Pialat décevra si l’on est vraiment venu y chercher l’exactitude. À l’inverse, le mélodrame et le sentiment d’inéluctable emportent au final le morceau puisque même si les barrières sont floues, le rapprochement est impossible pour ces personnages qui sont tous au bord du précipice. Entre solitude et mort en sursis, Mangin et Noria se seront néanmoins, dans un moment d’abandon, brièvement autorisés à s’aimer, au-delà des lois du milieu.

Titre original : Police

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Durée : 113 mn


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