Pionniers à Ingolstadt (Pioniere in Ingolstadt)

Article écrit par

Adapté de la pièce de Marieluise Fleiber Fegefeuer in Ingolstadt, écrite en 1928 et soutenue par Brecht, le film de Fassbinder est une transposition réussie dans les années 60 des rapports humains (amour, sexe, marchandisation, hiérarchisation excessive, rapport de force…) d’une société qui peine à se libérer des carcans entravant toute idée de bonheur. Symptomatique […]

Adapté de la pièce de Marieluise Fleiber Fegefeuer in Ingolstadt, écrite en 1928 et soutenue par Brecht, le film de Fassbinder est une transposition réussie dans les années 60 des rapports humains (amour, sexe, marchandisation, hiérarchisation excessive, rapport de force…) d’une société qui peine à se libérer des carcans entravant toute idée de bonheur. Symptomatique de cette affirmation, la dernière scène, cruelle mais implacable, montre Berta (la servante) allongée sur le sol, les jambes écartées, en pleurs dans sa naïveté de femme cherchant désespérément l’amour. Point de salut, elle est abandonnée dans sa déchirure de femme trahie. Objectivée par le cinéaste, elle symbolise ce constat terrible d’un matérialisme qui tant à enfermer les individus dans des rôles imposés par la condition sociale et sexuelle, la géographie et surtout la conjoncture.

Avec ce long métrage, Fassbinder met en place ce qui deviendra son cinéma, à la fois dans ses thématiques et sa mise en scène. Adaptant chaque film au contenu qu’il délivre, Fassbinder crée volontairement une systématique de distanciation, procédé d’ailleurs soutenu par la symbolique caricaturale des postures. Patchwork de thématiques prenant le pas sur une Allemagne emprisonnée dans un registre de simple métaphore, Pionniers à Ingolstadt est un concentré de positionnements, de statuts et de recherche d’identité. Réflexion impeccable d’une Allemagne en quête de sens, les portraits délivrés par le réalisateur nous ouvrent sur une réalité qui, contrairement à la fabrication théâtralisée du film, n’est ni feinte, ni esquissée.

Dans des décors propices aux ballades lancinantes, nocturnes et désabusées, Fassbinder capte la nature des êtres pour ce qu’ils représentent en tant qu’enjeu social. Tels des fantômes traversant la nuit froide d’Ingolstadt, Berta (la servante naïve), Alma (la nymphomane qui se prostitue), Karl (le soldat macho), Max (le soldat opportuniste), Fabian (le jeune bourgeois frustré) et tous les autres veulent trouver un semblant d’amour. Que celui-ci soit sincère ou de circonstance, il faut reconstruire ce qui a été détruit depuis tant d’années. L’échec de cette Allemagne d’après-guerre se trouve à l’intérieur d’un corps social corrompu par la peur de l’autre.

Les personnages (sans distinction de classe) gravitent autour des mêmes lieux, se parlent, se touchent, s’épient, se mentent, se trahissent, pour, en fin de compte, s’ignorer. C’est par ce discours d’une grande modernité, que Fassbinder pose la question des méfaits d’un individualisme érigé comme modèle. La putain, la naïve, le macho et le gradé se retrouvent désespérément seuls par incapacité à se comprendre. Le dialogue est rompu (alors qu’il motive continuellement l’action du film) et les illusions s’évanouissent. Prônant le rapport de force, le tableau sombre de Pionniers à Ingolstadt est dominé par le conflit, les rancœurs et la suspicion d’une Allemagne encore convalescente.

Titre original : Pioniere in Ingolstadt

Réalisateur :

Acteurs : , , , ,

Année :

Genre :

Durée : 104 mn


Partager:

Twitter Facebook

Lire aussi

L’étrange obsession: l’emprise du désir inassouvi

L’étrange obsession: l’emprise du désir inassouvi

« L’étrange obsession » autopsie sans concessions et de manière incisive, comme au scalpel ,la vanité et le narcissisme à travers l’obsession sexuelle et la quête vaine de jouvence éternelle d’un homme vieillissant, impuissant à satisfaire sa jeune épouse. En adaptant librement l’écrivain licencieux Junichiro Tanizaki, Kon Ichikawa signe une nouvelle « écranisation » littéraire dans un cinémascope aux tons de pastel qui navigue ingénieusement entre comédie noire provocatrice, farce macabre et thriller psychologique hitchcockien. Analyse quasi freudienne d’un cas de dépendance morbide à la sensualité..

Les derniers jours de Mussolini: un baroud du déshonneur

Les derniers jours de Mussolini: un baroud du déshonneur

« Les derniers jours de Mussolini » adopte la forme d’un docudrame ou docufiction pour, semble-t-il, mieux appréhender un imbroglio et une conjonction de faits complexes à élucider au gré de thèses contradictoires encore âprement discutées par l’exégèse historique et les historiographes. Dans quelles circonstances Benito Mussolini a-t-il été capturé pour être ensuite exécuté sommairement avec sa maîtresse Clara Petacci avant que leurs dépouilles mortelles et celles de dignitaires fascistes ne soient exhibées à la vindicte populaire et mutilées en place publique ? Le film-enquête suit pas à pas la traque inexorable d’un tyran déchu, lâché par ses anciens affidés, refusant la reddition sans conditions et acculé à une fuite en avant pathétique autant que désespérée. Rembobinage…