D’abord incrédule, il la rabroue, avant de lui faire subir les pires humiliations, verbales ou sexuelles. Pour prouver la filiation, il lui demande de manger un de ses propres orteils, qu’il vient de trancher. Et, alors que la relation semble sapée d’avance, il s’y attache, trouve peut-être un sens à son existence. Le reste n’est pas plus réjouissant : Pieta est un film difficile, avec la violence pour seul langage. Elle est de tous les plans, physique ou verbale, qu’elle soit dans ou en-dehors du cadre. De tous les lieux, aussi : nous sommes dans les bas-fonds de Séoul, dans le quartier de Cheonggyecheon. Bientôt, l’endroit disparaîtra complètement au profit de tours modernes ; pour l’heure subsistent encore quelques échoppes de presses à métaux et de machines à découper la tôle, dont les propriétaires se sont laissés emporter dans la spirale des dettes. Hangars désaffectés, petites boutiques aux grilles rouillées, immeubles en construction laissés à l’abandon : l’apparence des environs répond à la violence affichée par Pieta, semble l’appeler. De l’extrême misère causée par un capitalisme pernicieux en Corée du Sud, Kim Ki-duk dit qu’elle n’a d’autre choix que d’engendrer cette violence, qu’elle lui a donné naissance.

Une affaire de filiation donc, appliquée à toutes les strates du film : de la misère à la violence, de la mère au fils. Dans la deuxième moitié de Pieta, il n’importe plus que Mi-sun soit ou non la génitrice de Kang-do, puisqu’il a trouvé quelqu’un sur qui compter, une mater dolorosa prête à tous les sacrifices pour lui. Le film de Kim Ki-duk n’est, d’ailleurs, pas toujours très subtil dans son énonciation. Pour montrer que Kang-do est une bête, on le voit inlassablement lancer un couteau sur le mur de la cuisine, laisser traîner des viscères d’animaux morts au sol ; pour dire qu’il s’humanise, il laisse filer une ou deux personnes qu’il était venu torturer. Car c’est d’une recherche de transcendance que parle Pieta tout du long, l’idéal d’un monde meilleur auquel plus personne ne croit – en témoigne cette scène, très forte, où l’un des ouvriers endettés s’ampute lui-même des deux mains, alors qu’il est féru de guitare. C’est la plus belle du film, car elle est le symbole cru d’un désespoir profond en même temps que d’un vif espoir : de telles extrémités ne sont possibles que si, au fond, on croit à quelque chose de plus grand, à la rédemption.
Si l’ensemble est éprouvant, Pieta rappelle les obsessions de son cinéaste, travaillé par les limites du genre humain. L’Île (2000), Bad Guy (2002) ou Samaria (2004), déjà, étaient bâtis autour d’un mélange de tension, d’ironie et de cruauté. Kim Ki-duk les emmène ici à un degré supérieur : on est en droit de se révolter contre les images de son film, tant elles ne font pas dans la demi-mesure. Il n’en reste pas moins qu’elles sont puissamment évocatrices, et que s’en dégagent au final un lyrisme – certes pompier – et une certaine poésie pas si éloignés de ceux de Printemps, été, automne, hiver… et printemps (2003) ou de Locataires (2004). Et Kim Ki-duk, dans un plan final d’une extrême désespérance, d’aller tout au bout de son idée. On peut ou non apprécier.