Mission: Impossible – Final Reckoning

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Cours, cours, le furet.

« I need you to trust me. One last time. » – Ethan Hunt.

En juin 2023, le submersible Titan a implosé dans l’Océan Atlantique, alors que son équipage se croyait sain, sauf et sûr, au cours de son voyage de villégiature et d’exploration de l’épave du Titanic. En juillet 2023, le film Mission: Impossible – Dead Reckoning est sorti dans les salles obscures, satisfaisant les attentes des fans et prouvant qu’une fois encore, l’intrépide Tom Cruise était là pour nous, pour garantir notre divertissement à coups de cascades et de courses-poursuites. Du reste, il s’est passé bien peu de choses cette année-là. Le monde s’est arrêté une fois de plus, avec l’explosion en visibilité d’outils d’IA générative comme ChatGPT et MidJourney, et la grève des syndicats d’acteurs et de scénaristes, organisée pour tenter de lutter. Pas de quoi choquer les agendas de sorties de films, moins perturbés à ce moment-là qu’ils ne le furent pendant la pandémie. Le conflit israélo-palestinien a gagné deux ou trois marches dans l’escalade de la violence, et les images sanglantes qui en découlèrent ont poussé des tas de gens à faire énormément de choses, juste avant de pousser des tas de stars à faire bien peu de choses – Cruise lui-même, a « pris position » d’une manière caractéristiquement opaque et politiquement vague, s’interposant en défense de son agente, Maha Dakhil, alors que celle-ci risquait de se faire blacklister pour ses opinions pro-Palestine. Quand on regarde Mission: Impossible – Final Reckoning, enfin sorti de sa gestation d’éléphant après deux ans de délai (il devait arriver dans la foulée du volet précédent, et en être la « Partie 2 »), il est important d’avoir tous ses détails en tête pour au moins deux raisons.

La première est que le film est comme hanté par l’année 2023. Les Mission: Impossible ont toujours été des films très en dialogue avec la technologie de leur époque (le premier du nom s’amusait avec les images de synthèse, et les possibilités qu’elles donnaient pour ses jeux de masques ; le quatrième, Protocole Fantôme, mettait en scène un gadget d’espion qui dupait sa victime en analysant la position de ses deux yeux, à la grande époque de la 3D post-Avatar), mais c’est peut-être la première fois que la saga convoque à ce point des évènements réels et actuels, qu’il s’agisse d’internautes, médusés face à une nouvelle ère d’images truquées, ou de ruines de sous-marin, visitées par le héros Ethan Hunt à l’aide de technologies de pointe. Le spectre d’il y a 20 ou 22 moins plane sur ce Final Reckoning, comme si l’idée était d’enraciner cet opus retardataire dans son année d’origine, et laisser l’image réjouissante de Cruise, descendant en rappel lors de la cérémonie de clôture des JO de 2024, être symboliquement le dernier mot de ce personnage, sa conclusion la plus propre.

La deuxième raison est que le film est… extrêmement rébarbatif, à cause de différents choix narratifs ébahissants faits par Christopher McQuarrie (qui sacrifie ici toute l’intelligence pour l’action et le suspense qu’il avait dans les trois volets précédents), et qu’il faut bien que cette expérience de visionnage serve à quelque chose. Faute de mieux, elle est un bon post-scriptum pour un étrange moment dans notre histoire médiatique, dans lequel un personnage de présidente afro-américaine (Angela Bassett) pouvait encore être une prédiction pour Kamala Harris, et non pas un doux rêve à opposer à Trump.

« I find your lack of faith… disturbing. » – Dark Vador.

Il y a une… funeste opération de réduction, dans Final Reckoning, un travail d’exégèse de la philosophie de la saga, qui, loin de l’agréable et excitante logique d’épure de Dead Reckoning, fait d’Ethan Hunt un Jésus, et son ennemie, l’Entité, un insupportable émissaire de Lucifer. Extrait de leur réalité high-tech, mais aussi high-bodied, les personnages familiers (Luther, le génie du hacking joué par Ving Rhames, Benji, le sorcier du planning interprété par Simon Pegg, etc) sont réduits à des espèces d’apôtre pour leur chef de groupe, et débitent des dialogues interminables sur la manière dont lui et lui seul peut sauver le monde. (Notons qu’ils arrivent un peu tard : dans les deux mois, in narratio, qui séparent le récit du film de celui de sa grande sœur, l’Entité a déjà faits des dégâts et fédéré des sympathisants – la blague des Mission: Impossible a toujours été qu’une bande d’agents secrets hyper-vaillants rivalisaient de sur-compétence pour protéger le statu quo très banal de notre monde ; elle est maintenant gâchée). Les méchants de Mission: Impossible, n’ont jamais été le forte de la saga, et les meilleurs épisodes sont ceux qui les laissent être des caricatures avec des notes de grâce (dans Protocole Fantôme, le renégat russe Michael Nyqvist jette un petit sourire bitchy à Hunt avant de bondir d’une tour avec un détonnateur). Ici, McQuarrie et son coscénariste Erik Jendressen sautent à pieds joints dans l’idée idiote, et s’attendent à ce qu’on prenne au sérieux l’Entité comme une vraie menace pour notre époque, sorte de boss final des maux de notre société, puisqu’elle mélange l’anthropocène, l’accélérationisme, l’impossibilité de la décroissance, la post-vérité et même les apartheids (elle pirate les missiles nucléaires d’Israel et cherche à se réfugier dans un bunker/serveur en Afrique du Sud).

Mission: Impossible – Final Reckoning corrompt et déprécie les moindres coins et recoins de sa matière, même ses cascades impressionnantes, dans la mesure où elle leur donne pour seule limite un méchant de Superman façon Brainiac. Dans l’histoire des mauvaises idées de cinéma, cette épopée post-Guerre Froide a peut-être l’un des plus grands écarts entre simplicité supposée et mal fait, tant sa tentative de faire d’un scénario de science-fiction un thriller d’espionnage se rate totalement… et fait penser à un prompt d’IA. (« Ordinateur, génère-moi ce qui arriverait si Ethan Hunt était un Marvelman. »)

Plus ampoulé, plus bouffi, plus suintant encore que No Time to Die, qui avait au moins l’excuse d’être un 25ème film, et pas un 8ème, Mission: Impossible – Final Reckoning, nous fait penser qu’au fond, Christopher McQuarrie est en train de candidater pour remplacer feu son homonyme, Ralph McQuarrie, qui était concept artist sur Rencontres du Troisième Type, E.T. et la trilogie Star Wars. Une astuce de réalisation rappelle même une manie de George Lucas : les fondus via niveaux d’eau qui montent et qui descendent, pendant l’aventure de l’épave du « Sevastopol », sont comme des réactualisations des transitions en volet de La Guerre des étoiles. Peut-être une publicité pour le prochain film de Tom Cruise, dans lequel il annonce vouloir aller dans l’espace avec SpaceX et Doug Liman sur un script cosigné McQuarrie ? Doux Jésus, quelle erreur, quel échec. Le summum de la gamelle : Final Reckoning ne parvient pas à nous proposer des images qui humilient celles des IA, dans la mesure où de nombreux personnages ont un étrange affect figé (yeux intenses et peu mobiles, quand, à l’inverse, les lèvres et la mâchoire bougent très délibérément pour énoncer et articuler) qui fait penser à des générés.

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