Phoenix

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Après « Barbara » et l’Allemagne de l’Est en 2012, Christian Petzold vient nous raconter Nelly et l’Allemagne de 1945.

Avant la guerre, Nelly Lenz (Nina Hoss) était une chanteuse de cabaret mariée à Johnny (Ronald Zehrfeld), son pianiste. Après la guerre, elle est une survivante d’Auschwitz, défigurée et désormais sans famille, en quête de son ancienne vie. Grâce à l’aide de son amie Lene, elle bénéficiera d’une reconstruction faciale, prémices selon elle d’un nouveau départ qui passerait obligatoirement par ses retrouvailles avec Johnny. Devenu Johannes il serait, aux dires de Lene, plus intéressé par l’argent de sa femme que par leur histoire d’amour. En croisant Nelly une nuit à la sortie d’un cabaret, et croyant avoir affaire à un sosie, il lui proposera de se faire passer pour sa femme afin de toucher l’héritage qui lui revient.

Pour cette libre adaptation du Retour des cendres (1961) d’Hubert Monteilhet, le réalisateur fait le choix d’un titre plus positif en se plaçant d’ores et déjà du côté de la résurrection de son héroïne. Le récit d’origine était écrit comme un journal intime, Christian Petzold et Harun Farocki (dont c’est le dernier scénario) conservent l’idée d’une histoire racontée et vécue du point de vue de cette femme, façonnée par les mains d’un homme pour être une autre, qui n’est autre qu’elle-même. Hitchcock n’est pas loin et Vertigo (1958) quelque part, en embuscade.

Le scénario évite plutôt habilement le piège de l’invraisemblance qui lui est tendu : pourquoi cette femme, après le traumatisme subi, accepterait-elle de se prêter à ce jeu de rôles malsain ? Le bon sens voudrait qu’elle s’offusque, qu’elle se rebelle et peut-être même qu’elle se venge. Mais, dès le début du film, au chirurgien qui lui offre la possibilité de ressembler à des vedettes en vogue, Nelly répond qu’elle veut avoir son visage d’avant ; voilà son leitmotiv, « comme avant« . Un avant dont on ne saura presque rien, si ce n’est quelques indices, et la vision qu’en a Nelly sera donc également la nôtre. Cette femme pour qui tout a changé, sauf son amour pour Johnny qui fut son seul rempart contre l’horreur concentrationnaire, souhaite que rien n’ait changé pendant son absence. Le moment de son arrestation est resté son fuseau horaire de référence comme si la vie des autres s’était figée en même temps que la sienne. Et voilà que son mari lui propose de jouer à « et on ferait comme avant« , en lui rendant ses vêtements, ses chaussures, en lui demandant de se maquiller et de se teindre les cheveux comme elle en avait l’habitude. Comme si rien ne s’était passé, ou en tout cas si peu. Elle n’aura même pas à se soucier de la crédibilité de son mensonge, personne ne lui posera de questions sur ce qu’elle a vécu là-bas à Auschwitz. Tout comme elle, les autres feront semblant.

Plus qu’un drame ou un thriller (l’imposture sera-t-elle révélée ou pas ?), Phoenix est un film de fantômes. Nelly revient tourmenter les personnes et les lieux qu’elle a connus, sans que personne ne la voit, elle. Contrainte à sortir la nuit, sous un chapeau à voilette, à rester terrée dans une cave et à longer les murs, sa fausse imposture l’a amenée à être son propre double. Tel le doppelgänger des contes romantiques allemands, double fantomatique d’une personne vivante réputé pour être un augure de mort puisqu’il finit presque toujours par prendre la place de son alter ego humain, Nelly est menacée par elle-même de disparaître. Elle est toujours prisonnière, son corps pris en étau dans des plans serrés, son regard, seul témoin de l’inmontrable, capturé dans des gros plans (qui ne sont pas sans rappeler Les Yeux sans visage de Georges Franju, 1960). La mise en scène nous le donne à voir, beaucoup moins à le ressentir et c’est le principal défaut du film.

 

Un on ne sait quoi d’académique, de frileux même, donne l’impression que le film a été écrit et tourné avec des gants. Petzold n’aborde à aucun moment le trouble qui pourrait (qui devrait) se saisir de Nelly et Johnny, au prétexte, exprimé dans le dossier de presse, de s’interdire toute « relation entre sexualité et fascisme » à la Portier de Nuit (Liliana Cavani, 1974). Une décision politiquement correcte, ou un peu lâche, qui renverrait de fait Salo (Pier Paolo Pasolini, 1976) aux toilettes de l’histoire du cinéma ; mais ce n’est pas le débat, même si ce cercle de feu dressé autour du traitement artistique de la Shoah continue à nous navrer. De là vient cette atmosphère pétrifiée renforcée par l’omniprésence du gris des ruines, du gris des bâtiments et du gris des visages. Phoenix est un film figé qui commence à prendre vie dans les derniers moments, qui voient Nelly s’émanciper, pour peut-être redevenir elle-même. Pour de vrai.

Titre original : Phoenix

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Durée : 98 mn


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