Marronnier des documentaires télés, les rêves de gloire des jeunes ballerines en herbe possèdent un potentiel dramatique inaltérable. En mesure de s’affranchir d’un prorata temporis sclérosant, le documentaire peut explorer des chemins de vie loin des schémas programmatiques. Pour son premier documentaire, Anne-Claire Dolivet a visiblement voulu sécuriser son projet en multipliant les points de vue : quatre portraits en parallèle, et en s’appuyant sur une progression linéaire du récit. Ces conventions mises à part, la dramaturgie réussit à prendre progressivement son propre envol pour accéder à la spontanée intimité de ses protagonistes. Tout est ici affaire de délicatesse. Une caméra jamais omnisciente, des voix off profondément éclairantes, en guise d’orchestration : une partition musicale et une photographie teintées de douceur. Un documentaire atteint sa cible lorsque des personnalités prennent corps et dessinent leur propre chemin. Loin des sentiers battus, Muriel, maître de danse atypique, fait résonner sa voix forte pour toucher aussi bien l’esprit que le cœur de ses jeunes protégées. Constamment animée par le désir de transmission, elle prend soin de toujours faire un pas de côté pour ne pas dépasser le cadre qui lui réserve sa fonction, s’effaçant pour le bonheur de l’enfant et le désir des parents.
Les ressorts de l’apprentissage, les recettes de la réussite, les ressentiments de l’échec ; rebonds d’un ballet qui s’écrit sous la plume parfois rêche du destin. Le corps souffre, rappelant la fragilité d’une vie. Aux obstacles qui menacent la notion même de rêve s’ajoutent des doutes existentiels étonnement précoces pour des enfants qui n’ont pas encore atteint les houleux rivages de l’adolescence. La peur, les insomnies, la mort ont franchi le seuil de l’inconscience et sont évoqués à brûle-pourpoint. En évitant toute confrontation basique et frontale avec la caméra, de telles confessions prennent bien plus de force, bien plus d’âme. École de danse = (école de la vie)². La formule se vérifie pour ces jeune filles qui ont intériorisé les exigences du haut niveau et les doutes qui vont les tourmenter durant l’ensemble de leur existence. Des propos forts, bien à propos pour les spectateurs que nous sommes. Ceux pour qui le cinéma, et pas seulement le documentaire, n’est pas là pour dérouler sa vérité mais pour saisir « des moments de vérité ».