Rencontre avec Penny Allen

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Interview de Penny Allen, réalisatrice de Poperty et plus récemment, The Soldier’s Tale.

Penny Allen, cinéaste et écrivaine franco-américaine vivant à Paris réalise son premier long-métrage Poperty, lauréat au premier festival de Sundance en 1978. Il s’ensuit une riche carrière marquée notamment par Paydirt en 1981. Dans The Soldier‘s Tale (sortie ce 24 mars), Penny a filmé sa rencontre avec un soldat qui revenait d’Irak. Avec ce documentaire troublant, Penny nous offre un document exceptionnel par sa rareté. Rencontre.

 

Le discours du sergent R entre votre première rencontre dans l’avion et le tournage au Motel, semble t-il, a changé. Entre ces deux rencontres, comment a-il évolué ?

Il s’est écoulé quand même un an et demi entre la première rencontre et celle du motel. Effectivement, il avait changé entre ces deux moments. Dans l’avion, il avait été libéré le matin même et il était un peu hystérique, agité, il parlait sans cesse. Je l’ai écouté longtemps car nous empruntions la même correspondance pour continuer vers les Etats-Unis. Un an et demi après, pour le tournage au motel, il était seul, sa femme l’avait plaqué ; il lui avait montré des photos que l’on voit dans le film. Mais du point de vue de sa perspective sur la guerre, il n’a pas vraiment changé, il était simplement un peu plus calme. Il avait pris de la distance. Il ne savait pas s’il allait partir pour la deuxième fois ou pas et finalement, il est reparti.

Au motel, on sent très bien qu’à certains moments, son discours vous heurte. Vous vous contrôlez pour ne pas lui porter la contradiction et aussi pour ne pas vous mettre en colère. Qu’est ce qui vous a le plus heurté dans ses propos ?

Mais le fait qu’il allait repartir ! Je me suis rendu compte que c’était un fantasme de ma part de croire qu’il n’allait pas repartir. Mais non ! Ca m’a beaucoup choqué qu’il répète une expérience qui l’a complètement cassé et ravagé par le stress post-traumatique qu’elle a généré.

Vous affirmez que montrer des images abominables de la guerre a une utilité (dans le film, les photos et vidéos montrées par le sergent), contrairement à d’autres qui pensent que c’est vain. Pouvez-vous nous expliquer votre position ?

Je pense que c’est utile quand c’est lié au récit d’un individu ; quand il raconte ce qu’il a vécu et qu’il dit « Voilà ce que j’ai vu ». Lorsque c’est anonyme – et on retrouve ce genre de documents partout sur Internet –, je crois que ce n’est d’aucune utilité, c’est obscène même. Mais quand c’est relié à une personne, c’est très fort. Ça ajoute énormément à ses paroles.

Êtes-vous toujours en contact avec lui ?

Oui. Il me donne des nouvelles par mail. Mais je crois que maintenant, il n’a plus besoin de moi. Et c’est ce que je voulais. C’est bon signe. D’ailleurs, il s’est remarié, il y a quelqu’un qui l’aime, qui l’écoute. Je sais que le film a été une expérience très importante pour lui. Je lui ai envoyé le Dvd et il l’a montré uniquement aux gars de son unité. De toute façon, pour lui c’est le passé. Je ne crois même pas qu ‘il l’ait montré à sa femme.

Avez-vous pris part à la contestation contre la guerre du Vietnam ? Pouvez-vous nous parler de cette période ?

Oui, c’est l’époque de ma formation politique. À l’époque j’étais professeur à Portland State University. On lisait toutes sortes de textes, des tracts. L’année 70, en particulier, a été très importante pour les manifestations anti-guerre, ça bougeait. Nous avons même fait grève. Je m’en souviendrai toute ma vie : à la fin de la guerre en 1975, le New York Times a publié une photo bouleversante à la une qui prenait la moitié de la page. C’était un soldat vietnamien qui, au lieu d’être en joue, était assis, il avait son fusil couché sur les genoux. Il avait l’air tellement soulagé (Penny est très émue). Son regard semblait dire : « Enfin, ils sont partis. » J’ai eu cette photo sur mon mur très longtemps. C’est à la fin de cette période que je suis devenu cinéaste. Je travaillais avec Eric Edwards comme chef opérateur.

Si l’on essaie de rapprocher l’impact des deux guerres (Vietnam, Irak) sur l’opinion publique US, il semble, vu d’ici, que l’opinion américaine vis-à-vis de cette guerre est plus assoupie, moins organisée, moins virulente que dans les années 70. Est-ce vraiment la réalité ? Comment est perçue la politique du gouvernement ?

Oui, cela n’a rien à voir. Avant l’invasion de l’Irak en 2003, il y a bien eu quelques manifestations contre la guerre, mais sans influence. Il faut dire que la différence majeure entre les deux guerres, c’est qu’il n’y a pas de conscription pour l’Irak. Ce sont des soldats volontaires donc ça ne touche pas toutes les familles. Et bien souvent, les jeunes font partie de familles militaires qui ne vont pas se révolter.Tout cela pour dire qu’il y a une léthargie, un manque d’énergie effrayant aux Etas-Unis. Il faut bien dire que l’opinion, en ce moment, est extrêmement déçue par Obama. Moi-même, je suis allé prêter main-forte pour sa campagne. D’ailleurs j’avais publié un article dans Libération à cette époque. Beaucoup de gens se sont mobilisés pour sa campagne. Il avait rassemblé très large. Maintenant, les gens du centre, les indépendants se détournent de lui. C’est grave. Ce désenchantement, peut-être, prend sa source dans les années Clinton. Au début, celui-ci s’est dit du côté des déshérités, des ouvriers. Ils ont mis énormément d’énergie dans la réforme de l’assurance-santé pour laquelle ils ont échoué. Et après, ça a basculé. Son administration a abandonné les valeurs progressistes qu’elle préconisait. Ça a un peu coupé les racines que les gens avaient avec les mouvements de gauche. La rupture maintenant est complète (les années Bush sont passées par là il faut dire). Il y a aussi un autre point important de souligner : Internet a carrément dévalorisé le débat de qualité, engagé, en marginalisant la presse écrite. Le débat politique devient vulgaire, violent. Donc on a de plus en plus une existence sans compréhension politique, sans analyse du monde aux Etats-Unis. Obama déçoit aussi car il refuse – il semble que cela tienne à sa personnalité -, de trancher, il est toujours dans le compromis. C’est un homme brillant, mais il semble penser que ça suffit de présenter des choses bien ficelées pour qu’elles séduisent or ça ne marche pas. Les gens ont perdu patiente.

Les boys vont-ils bientôt rentrer à la maison ou bien est-ce un rêve ?

Je crois que c’est un rêve !

Propos recueillis par  Alexis de Vanssay en mars 2010


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