Pasqualino

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Portrait d’un survivant prêt à tout dans le film le plus sombre de Lina Wertmüller.

Pasqualino est à la fois l’un des films de Lina Wertmüller les plus célébrés (4 nominations à l’Oscar dont meilleur film, meilleur film étranger, meilleur acteur pour Giancarlo Giannini et meilleur réalisatrice pour Lina Wertmüller, une première pour une femme) et aussi l’un de ses plus sombres et plus cinglants. Les films de la réalisatrice sont souvent des odyssées où des personnages idéalistes confrontés au monde réel (souvent représenté par la ville en opposition à la campagne) renoncent à leur cause par nécessité, cupidité et en tous cas par un vrai reniement d’eux-mêmes, convoquant les maux de la société italienne d’alors (machisme, extrémisme, ambition). C’est le révolutionnaire de Film d’amour et d’anarchie (1973), l’ouvrier de Mimì métallo blessé dans son honneur (1972) et le groupe de travailleurs de Chacun à son poste et rien ne va (1974) ainsi que les amants de Vers un destin insolite, sur les flots bleus de l’été (1974), tous abandonnant amis ou amour par intérêt. Tous ces personnages partaient en tous cas d’une cause noble ou révélaient un bon fond à un moment ou un autre, donnant une vrai touche mélodramatique à leurs transformations sous la couche satirique de Lina Wertmüller. La réalisatrice s’inspire ici d’un contexte explosif (la montée du fascisme et la Deuxième Guerre mondiale) et d’autant plus révélateur de l’instinct de survie avec un héros fondamentalement mauvais.

 

Le générique sur fond de variété italienne accompagnant des images d’archives guerrières donne le ton, avec sa voix off opportuniste ponctuée de « Oh yeah! » à toutes les idéologies possibles et imaginables. Le film s’ouvre sur la course apeurée de Pasqualino (Giancarlo Giannini) dans une forêt allemande où rodent les troupes ennemies. Soldat déserteur, il assiste dans sa fuite à l’horreur en marche (des villages entiers fusillés sans autre forme de procès) avant d’être capturé et emprisonné dans un camp de concentration. Dès lors s’enclenche une narration en flashes back où alternent les souffrances du présent au sein du camp et les causes passées ayant amené notre héros dans cet enfer. Pasqualino arbore dans ces flashes back toutes les tares qui ne se révèlent que progressivement chez les personnages masculins de Lina Wertmüller, il n’a pas besoin d’être souillé puisqu’il est déjà une vraie pomme pourrie. On découvre ainsi un homme brutal et machiste malmenant sa sœur qui a cédé à un homme douteux mais plus pour défendre l’honneur et la réputation de la famille que par préoccupation pour cette dernière. Pasqualino est d’abord présenté sous un jour élégant, tiré à quatre épingles et observé avec envie par toutes les femmes croisées, choyé par sa famille (sa mère et sa nombreuse fratrie féminine) et craint et respecté dans les bas quartiers de Naples. Tout vole en éclats lorsqu’il devra mettre en pratique cette masculinité exacerbée.

L’amant de sa sœur le repousse d’une chiquenaude (après une belle amorce de duel superbement filmée mais qui tourne court) et il ne le tuera que par accident après une attaque des plus lâches. Là encore, au lieu d’assumer son acte et de plaider le crime d’honneur si cher à cette Italie arriérée, il optera pour la folie afin de survivre et d’être envoyé à l’asile pour échapper à l’exécution. Ayant ainsi compris à qui nous avons affaire, nous allons voir comment Pasqualino va survivre à l’enfer du camp de concentration. À travers la caméra de Lina Wertmüller, le camp fait figure d’enfer quasi mythologique, espace clos sans lumière où les silhouettes frêles et anonymes des prisonniers se perdent et se confondent à perte de vue dans une photo grisâtre reprenant celle du final en cuisine de Chacun à son poste et rien ne va où les travailleurs perdaient aussi leur identité pour n’être que des pions dans le cycle de production. Pasqualino, dans sa volonté effrénée de survie, va alors franchir un cap décisif de cette déshumanisation en tentant de séduire l’imposante et impitoyable matrone du camp (Shirley Stoler, célèbre pour son rôle dans Les Tueurs de la lune de miel de Leonard Kastle, 1970). Visuellement, le film change de tonalité pour illustrer cette sordide séduction, faisant de l’espace des deux amants un espace abstrait et hors du temps photographié selon des teintes verdâtres.

Pitoyable et grotesque, ce rapprochement humilie surtout Pasqualino (Lina Wertmüller avait déjà mis Giannini aux prises à une partenaire aux formes imposantes dans Mimì métallo blessé dans son honneur), incapable d’être un « homme » même dans sa lâcheté et réduit à l’état de chien par Shirley Stoler. Comme souvent avec la réalisatrice, le héros vertueux ne vaut pas beaucoup mieux que ce qu’il combat et c’est d’autant plus vrai ici avec un être aussi méprisable que Pasqualino qui ira même plus loin dans la trahison dans un terrible final. Toute cette horreur se justifiera dans la dernière scène où un Giancarlo Giannini brisé et le regard éteint déclarera plus mort que vif : « Je suis vivant ». Avec Pasqualino, Lina Wertmüller offre une escalade de plus en plus sombre et pessimiste à ses questionnements, le romanesque (Film d’amour et d’anarchie et Vers un destin insolite, sur les flots bleus de l’été) et la farce (Mimì métallo blessé dans son honneur) qui donnaient un ton plus lumineux disparaissant ici grandement (mais réapparaissant toutefois étonnamment dans le suivant D’amour et de sang en 1978). La réalisatrice manie avec un brio rare un sujet pourtant explosif (curieux de connaître les réactions à l’époque malgré le succès et les récompenses aujourd’hui le film ferait un scandale) et livre à nouveau un très grand film. Définitivement l’une des filmographies les plus impressionnantes et cohérentes du cinéma italien des années 1970.

Titre original : Pasqualino Settebellezze

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Durée : 115 mn


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