Parole de kamikaze

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Le témoignage sobre et bouleversant d’un homme pour l’Histoire.

D’un point de vue européen et nord-américain, il y a quelque chose d’incongru, de contradictoire, de paradoxal même, dans le titre de ce documentaire : Parole de kamikaze, tant ces deux termes semblent relever du pur oxymore. La Parole, elle, étant vivante et les kamikazes japonais, au contraire, s’étant bel et bien suicidés contre l’acier des destroyers américains, quelque part dans le Pacifique, il y a plus de soixante ans, en hurlant « Banzaï ». Nous n’avons le plus souvent, en effet, – toutes générations d’après-guerre confondues -, pour définir la représentation que nous avons des kamikazes, que ces films d’actualités tremblants en noir et blanc du théâtre des opérations de la guerre du Pacifique, où les chasseurs Zeros de la marque Mitsubishi, armés de grosses bombes, viennent s’écraser en piqué avec leurs pilotes sur les navires U.S. C’est comme si, pour nous, « kamikaze », rimait uniquement avec mort, comme si aucun de ces jeunes garçons qui se sont sacrifiés pour l’Empereur Hirohito – tactique militaire désespérée presque jamais employée jusque-là dans l’histoire de l’humanité -, n’avait survécu.

Or, même si les déflagrations d’Hiroshima et de Nagasaki ont laissé dans l’Histoire l’image d’un Japon, en 1945, exsangue, comme rayé de la carte, l’image d’un empire englouti (avec ses kamikazes), il y a bien eut des survivants à la tactique jusqu’au- boutiste voulue par le quartier-général de l’Empereur.

 

En recueillant dans Parole de kamikaze, la parole vivante d’un survivant de ce terrible épisode de la guerre, Masa Sawada et Bertrand Bonello, rendent hommage à ces sacrifiés d’une cause perdue que furent ces pilotes. Durant 1h15, Sawada s’entretient avec Fujio Hayashi qui s’est porté volontaire pour commander une unité de kamikaze, à seulement 21 ans. Durant tout le film, nous verrons un homme très âgé mais alerte, qui fût toute son existence pourchassé, hanté par les démons de cette terrible période (18 mois), de sa vie. L’entretien est mené avec douceur, avec le très grand respect qu’impose la présence d’un homme, qui a – nous dit Sawada dans le dossier de presse – longtemps hésité à donner son accord pour témoigner, n’a accordé qu’un temps limité aux réalisateurs et qui, par ailleurs, avait été choqué par les montages d’interviews passées qui ne respectaient pas ce qu’il voulait dire. Le réalisateur a fait le choix d’une mise en scène très sobre qui respecte les nombreux moments de silence du vétéran. Ces silences font intégralement partie de la parole délivrée douloureusement par le vieil homme. En outre, le calme et la sérénité toutes japonaises des arrière-plans de chaque séquence constituent le cadre idéal pour accoucher un esprit blessé et hanté par la mort de ses camarades alors sous ses ordres, mais tranche aussi avec la brutalité des souvenirs avec lesquels Hayashi doit une nouvelle fois se confronter. Dans ce document où l’on ressent à chaque minute le poids de l’Histoire, les réalisateurs ont choisi aussi de ne pas intégrer d’archives car il ne s’agissait pas pour eux de faire un documentaire historique mais bien de recevoir le témoignage d’un homme pour l’Histoire. Au lieu d’archives, fort habilement, au début du film, les réalisateurs posent sur une table des maquettes d’avions nippons et d’un navire de guerre américain. Ils demandent à Hayashi de leur montrer la façon dont les Okha (petits appareils sans moteur avec pilote) – largués depuis des bombardiers – venaient s’écraser, en planant, sur leurs cibles. Cette mise en scène de la guerre sur un bureau nous apparaît alors bien plus éloquente – et d’une certaine manière aussi, poétique – que l’insert de vieux films dans le documentaire.

Mais, incontestablement, le moment le plus fort du film, est celui où Hayashi exprime sa colère toujours vive contre l’Empereur. L’ancien pilote hausse même le ton, dénonçant l’ingratitude d’Hirohito vis-à-vis de l’armée et singulièrement envers ceux qui ont donné leurs vies pour l’honneur du souverain et donc du Japon. Ce moment est très important car il laisse entrevoir toute la complexité du rapport des Japonais avec le pouvoir, avec leur empereur, rappelons-le, d’ascendance divine. La réaction du vieil homme montre bien aussi que les kamikazes ne se sont pas tous suicidés d’une manière fanatique, sans états d’âmes, mais que beaucoup d’entre eux, au contraire, – officiers et soldats – furent révoltés par cette tactique désespérée.

Titre original : Parole de kamikaze

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Durée : 74 mn


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