Oxygène

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Oxygen ou comment re-devenir humain ?

Le dispositif mis en place par Alexandre Aja avec Oxygen, irréductible au simple espace fini de la bioforme qui centralise le film géographiquement, impose une immatérialité et presque une virtualité de sa forme, et laisse entrevoir l’espace infini des possibilités que le récit se laisse la liberté d’explorer.

Il s’agit de fait d’un huis-clos qui, semblant d’abord s’écarter de sa valeur conflictuelle bien connue par le cinéma français, laisse entrevoir un renouveau du genre et en explore les tenants science/trans-fictionelle. Mais l’unique persona à travers laquelle passe le récit, Lise, et qui par nature le met sous tension, aspire cet espace clos, l’ouvre, le contemple, par sa recherche éminemment identitaire. Incapable de se souvenir de son nom, de la raison pour laquelle elle est enfermée dans la bioforme ni même du milieu dans lequel elle se trouve, elle fait le lien avec la terre, le connu ou le commun par le recours aux souvenirs, qui transpose dans cet espace fermé, presque fœtal, le tout du monde, désamorçant par là même la révélation finale, qu’il y a-t-il donc d’étonnant à ce qu’Oxygen fasse de sa problématique le devenir de l’espèce ? 

 

Anima

Cette impossible figuration de sa place, ce non-sens du monde, nourrit tout le long du film l’angoisse de Lise. Elle demeure coincée entre le confort symptomatique de sa bioforme, et la voix douce et robotique de Mathieu Amalric qui s’oppose à sa sortie comme un mur d’absurde incommensurabilité. Le compte à rebours est alors lancé, Lise est dans l’arène, et son niveau d’O2 baisse chaque minute. Elle se meurt à feu doux, et son repli la rappelle (et nous avec) irrémédiablement à sa naissance, à l’importance de faire vie, si bien que la bioforme elle-même joue le rôle de mère nourricière, lui injectant nutriments et médicaments nécessaires à la pérennité de son corps, et l’obligeant à (re)conquérir l’âme qu’elle semble ne plus discerner en elle. 

Pourtant rien ne parait humain chez cette mère de fortune, personne ne l’accompagne dans sa mort, et l’ironie tient bien de cela. Si elle ne peut se souvenir du monde, de l’organique, des autres, qui sont tout autant de représentations inaccessibles par son esprit, elle causera sa perte. 

Elle s’écorchera donc le poignet pour ressentir le mal du corps, de celui qui agit comme paradigme sur une conscience endormie, et qui fait émerger le souvenir de la chair.  

 

Humain à l’eau

Mais cette bataille entre la chair passion et le métal raison semble prendre une dimension tout autre chez Aja. En effet, si le corps et ses blessures sert de caisse de résonance au monde et à son histoire d’hommes, celle-ci ne peut se passer de son rappel, de ce que la machine lui transmet comme sentiment et lui témoigne comme attention. Ce qu’il y a d’étonnant dans le film, qui suit finalement une structure dramatique très classique, tient du fait que la machine n’a finalement rien d’insensible ou de métallique. Mathieu Amalric en est sa voix, quoique rétablie à une sonorité linéaire, elle ne peut complètement éteindre son chant, et cacher son appartenance au règne humain. Aja invente un hybride, doué de raison, programmé, et qui ne peut encore tout-à-fait passer au-delà de sa fonction première, mais qui par son ton, récite sans le savoir l’histoire qui l’a conceptualisé, histoire d’ailleurs qui fait le nœud dramatique du film, et qui recèle l’identité de Lise: elle est la scientifique, conceptrice de la bioforme, qui s’y est enfermée pour transporter un morceau d’humanité au-delà de la terre, dans un ailleurs du devenir. Cette voix de robot est un double, un sien propre, puisqu’elle est finalement sa création ultime, et lorsque Lise l’entend pour la première fois, elle ne sait pas qu’elle a en fait affaire à son ami le plus cher. C’est lui qui fera advenir la résolution dramatique, en mettant en contact Lise avec Lise : notre persona et son personnage resté sur terre, scientifique déterminée à assurer le devenir humain, qui s’est clonée, au coté de tant d’autres, pour qu’ils puissent à leur tour faire société. 

 

Le + du –

Le film ne se sert néanmoins pas de l’initiale double négation, vacuité à la fois identitaire et de milieu, pour déplacer nos attentes au-delà des imaginaires déjà sur-investis: l’espace, il y a t-il maintenant plus commode conquête cinématographique ? Et, ce dénouement finalement clair et précis, absolument univoque, ne laisse aucun doute concernant le sens du récit. On ne peut plus plaider l’interdépendance de la conscience de Lise et de l’espace, quand bien même le film semble au premier abord les opposer comme deux forces égales et surtout deux champs d’existence du personnage, qui prétendent pousser la recherche identitaire vers un devenir spirituel. Le combat est toujours gagné par l’espace, l’explication matérielle détrône les possibilités spirituelles du dispositif, de la perte de soi en soi, et Lise se rendort à une seconde de la mort, confortée dans la conscience aveugle de sa place et de son devoir fonctionnel. 

 

Exclusivement sur Netflix

 

Titre original : O2

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Durée : 100 mn


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