Où va la nuit

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Trois ans après « Séraphine », « Où va la nuit » scelle les heureuses retrouvailles du réalisateur Martin Provost et de la comédienne Yolande Moreau.

Le titre annonce d’emblée la couleur et la direction, Où va la nuit est le récit d’un sombre itinéraire : le cheminement de Rose Mayer pour se libérer des griffes de son mari, d’abord, pour s’accommoder d’une vie de femme libre mais criminelle ensuite. Modeste petite chose, simple femme au foyer battue par un mari alcoolique, l’héroïne a tout de la parfaite victime dont on voudrait excuser le geste. C’eût été trop facile : dans un courageux et payant exercice d’équilibriste, le film de Martin Provost chemine sur un fil ténu consistant à ne pas blâmer mais surtout à ne pas dédouaner cette femme. Ne pas excuser, ne pas condamner : poser un regard bienveillant et curieux, observer cette victime devenue bourreau. Ici, le meurtre n’est pas le point d’arrivée mais le point de départ du récit.

Une fois le crime commis, la mécanique de fuite en avant se met irrémédiablement en marche : pour échapper à son sentiment de culpabilité, Rose part pour Bruxelles. En arrivant à la ville, un miroir lui offre le délicieux plaisir de redécouvrir sa beauté ; mais, quelques séquences plus loin, cette même glace lui renverra le reflet peu flatteur de sa culpabilité. Que faire quand chaque regard, chaque geste, chaque objet rappellent à Rose à son crime ? La caméra de Martin Provost mue ainsi un banal fait divers en une authentique tragédie. Le personnage du mari assassiné a déjà tout de l’archétype : par son mutisme et la violence de ses gestes, il apparaît comme une pure incarnation du Mal. De même, les intérieurs sont épurés, à la manière d’un décor de théâtre, et les personnages apparaissent perdus au milieu du cadre, tels des comédiens sur une scène immense : cette stylisation permet de conjuguer le drame familial en milieu rural au présent permanent de la tragédie. Et, si la caméra de Martin Provost fait mine d’expédier la scène de crime (magnifique séquence où la caméra ne donne à voir que le visage de Yolande Moreau), c’est pour mieux se concentrer sur les conséquences de l’acte monstrueux de Rose.

Véritable figure tragique, le personnage de Rose Mayer, (si magnifiquement) interprété par Yolande Moreau, reste un esprit insondable, un roc impénétrable. C’est donc en négatif, à travers les autres protagonistes, que le film esquisse les contours de la mystérieuse Rose. Une passionnante galerie de seconds rôles vient enrichir l’intrigue. Individus en marge ou aux réactions inattendues, chacun d’entre eux participe à dévoiler une facette de Rose et à précipiter son destin : ainsi le flic compréhensif à l’égard de la meurtrière ou encore la logeuse, mi-gardienne de prison mi-compagne d’évasion (Edith Scob, magistrale). Enfin et surtout, Denis, l’ami journaliste, tout à la fois inquisiteur et protecteur. Lui qui porte le prénom du premier enfant décédé de Rose présente tous les traits d’un fils compréhensif et compatissant, quand Thomas, le fils biologique de Rose, rejette violemment sa mère. De passionnants récits souterrains se développent ainsi au cœur du film. L’une des plus belles pistes explorées réside sans doute dans l’itinéraire de Thomas, ce fils jadis maltraité qui finit par adopter les comportements de son bourreau de père.

Le scénario précis et efficace est porté de bout en bout par une mise en scène subtile, jouant sur les symboles, les thèmes et leurs variations. L’art de la concision et le sens du rythme propres au cinéma de Martin Provost rendent le film tout à la fois percutant et incisif. Ici, point n’est besoin de trop en dire, tout est montré ou suggéré. Que demander de plus à un grand film ?

Drame resserré et implacable, Où va la nuit mènera Rose jusqu’à l’aurore de la rédemption. Au bout de son parcours, une mer infranchissable, naturellement. Tuer pour renaître à la vie : un sujet fort pour un film singulier et émouvant.

Titre original : Où va la nuit

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Durée : 105 mn


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