On a grandi ensemble

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Après son magnifique « 600 euros », Adnane Tragha revient en force avec ce témoignage sur Gagarine de son enfance.

Faire émerger la mémoire

Après 600 euros en 2015 et Dravemont en 2018, Adnane Tragha revient en force avec ce beau film consacré à la cité Gagarine d’Ivry-sur-Seine avant qu’elle ne soit détruite en 2020 par les pelleteuses qu’on verra à la fin, et en face de laquelle il a grandi séparé par une grande grille qu’il pouvait cependant franchir. Plus fort et plus concret que Gagarine de Fanny Liatard et Jérémy Trouilh sorti en 2020, ce film documentaire parvient à la fois à faire émerger lentement la mémoire ouvrière de l’époque et à redonner à cet ensemble de briques rouges la mélancolie du passé et la poésie de la mémoire, en utilisant le cadre, la photo sublime, des oeuvres d’art installées, des projections sur les murs notamment de la venue de Gagarine en personne dans les années 50 et des fumigènes rouges porteurs d’un message à la fois de révolte et de sublimation. Le parti-pris est cependant assez simple, mais le regard tendre du réalisateur parvient à lui apporter un renouveau et beaucoup de force : des témoins de l’époque interviennent face caméra dans des endroits spécifiques de la cité, comme les escaliers, la loge du gardien, les caves, les garages et la pelouse mitée. On rencontre au détour de ce voyage dans le temps l’ancien gardien justement, une femme qui trouvait que c’était le paradis que d’avoir une chambre à soi, une metteur en scène de théâtre et des hommes et des femmes qui ont depuis réussi, devenus avocates, professeurs, etc. Le tout accompagné de musiciens live qui apportent à cette visite à la fois une note de tristesse et d’espoir, ce qui n’est pas paradoxal.

Avant l’oubli

Personne ne semble regretter vraiment cet imposant building, haut et long, personne ne se lamente. Tout le monde se souvient de sa vie d’enfant et des images qu’ils ont glanées avant de les oublier peut-être complètement lorsque le grand ensemble sera détruit. Une des femmes interviewées déplore, mais avec le sourire, qu’elle ne pourra plus y emmener sa fille pour qu’elle revoie les endroits où sa mère a passé son enfance. Mais nulle jérémiade, nulle accusation d’où la dignité et la grande puissance de ce film qu’on oubliera difficilement. Cependant personne ne se pose la question qui est pourtant dans toutes les têtes et presque sur toutes les bouches : comment ont-ils eu cette idée saugrenue de construire des buildings aussi inhumains et excentrés sauf à vouloir mal recopier les tours de Manhattan et l’architecture écrasante des ex-pays de l’Est.

Le travail des pelleteuses

« Enfant, confie le réalisateur, je voyais cette cité comme un lieu dans lequel on était, à de rares exceptions près, en difficulté sociale ou financière. Pourtant lorsque je discute aujourd’hui avec ces mêmes amis, seuls les bons souvenirs restent. Tous éprouvent la même nostalgie lorsqu’ils évoquent la cité Gagarine. (…) Ce film raconte ainsi un quartier populaire à travers le regard authentique, bienveillant et souvent inattendu de ses anciens habitants. Au fil de leurs mots, il donne aussi à comprendre les raisons de la destruction de la cité. Ce n’est donc pas la parole d’un sociologue ou de quelqu’un qui s’est documenté à travers des livres qui est mise en avant, mais la parole de ceux qui voient trop souvent d’autres personnes s’exprimer à leur place. » Et, du coup, on comprend mieux en effet pourquoi ceux qui nous donnent toujours des leçons pour « vivre ensemble » ont pris la décision de l’abattre…

 

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Durée : 72 mn


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