Norway of Life (Den Brysomme mannen)

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Andréas se retrouve dans une ville étrange. Il ignore comment il est arrivé là. On lui remet un appartement, un emploi, et même une femme. Très vite, il s’aperçoit qu’il y a quelque chose qui cloche. Tentant de s’enfuir, il découvre que la ville est sans issue. Beaucoup de sensations dans ce film. Une histoire […]

Andréas se retrouve dans une ville étrange. Il ignore comment il est arrivé là. On lui remet un appartement, un emploi, et même une femme. Très vite, il s’aperçoit qu’il y a quelque chose qui cloche. Tentant de s’enfuir, il découvre que la ville est sans issue.

Beaucoup de sensations dans ce film. Une histoire à la Kafka, un peu de Brazil, de Borges et de Breton. Des sensations froides à l’extérieur et chaudes à l’intérieur. Comme lorsqu’on aime un film et qu’on ne l’aime pas. On mange avec appétit mais les aliments n’ont plus de goût. On regarde mais il n’y a rien à voir. Bizarre.

Norway of life est un film atypique à bien des égards. Entre rêve et cauchemar, entre l’infini et le clos, le film de Jens Lien transporte le spectateur dans des contrées qu’il ne connaît que trop bien et si peu : le voyage intérieur, la conscience de soi à travers autrui et à travers sa vie.

Œuvre d’une maturité hallucinante, Norway of life (second film seulement) suit l’arrivée d’un quidam dans une ville trop étrange pour être honnête. Tout y est facile, banal, répétitif, sans que qui que soit ne s’en rende compte. Et le sentiment d’étrangeté commence à émerger délicatement derrière les façades des maisons préfabriquées, dans les repas d’affaires ou même dans l’intimité. Tout ceci n’est pas normal et pourtant tout semble aller pour le mieux en apparence. Sentiment que l’on peut éprouver parfois lorsque l’on se sent en décalage avec ce qui nous entoure. Sentiment magnifiquement retranscrit dans ce film qui se construit sur le décalage qu’éprouve Andréas face à sa nouvelle vie, la caméra épousant son point de vue et ses craintes à mesure qu’il découvre ce qu’il ne peut trouver. Il ne comprend pas, le spectateur non plus. Et si finalement il n’y avait rien à comprendre, mais juste à laisser le fil de la vie suivre son cours ?

S’apparentant tout autant au genre fantastique qu’à la science fiction, voire à la fable humaniste, Norway of life laisse un sentiment de trouble longtemps après son visionnage. Quel est le message du film ? Que symbolise cette station de bus en plein désert ? Pourquoi personne ne réagit lors du suicide d’un cadre ? Pourquoi il n’y a ni enfants, ni bébés dans cette ville ? Que signifie cette étroite fissure dans le mur d’où émerge un parfum de vie devenu si rare (on pense d’ailleurs au mystère de L’Aleph de Borges à cet instant) ?

Des questions auxquelles chacun répondra différemment tant l’absence d’éléments explicatifs sert de base à ce « film ovni ». Il faudrait se replonger dans La Prisonnière espagnole de David Mamet pour retrouver une ambiance aussi mystérieuse que celle-ci. Car d’ovni il s’agit bien, mais pas au même titre qu’un film de Lynch ou de Jodorowsky, mais un objet étrange pour deux raisons.

Sa nationalité tout d’abord. Les films scandinaves cultivent un humour à froid dont ils se sont rendus les maîtres. Du suédois Kitchen stories au chef-d’œuvre pictural Chansons du deuxième étage, en passant par la série danoise The Kingdom de Lars von Trier, ces films ont cette capacité de rire du pathétique de l’humain avec un sens inégalé de la dérision. Et le norvégien Norway of life ne déroge pas à la règle. Les scènes où Andréas fait l’amour sans aucune sensation avec sa partenaire ou l’incroyable suicide à répétition dans le métro sont des exemples parfaits d’une ironie mordante et absurde. Comme sait l’être la vie.

Enfin, ce film est un ovni de par sa structure. Construite tout autour du personnage d’Andréas, l’intrigue semble suivre les fluctuations de son esprit. Dans la mesure où il est une pièce dans cette ville-échiquier, chaque point de chute devient une case par laquelle il devra repasser. Le réalisateur construit alors une mise en scène sur un système rhizomique ne fonctionnant qu’à l’intérieur de la ville. Labyrinthe, jeu d’enfant, il doit nécessairement y avoir une porte de sortie. A moins que tout ce système ne soit qu’une projection d’Andréas matérialisant son débordement psychique. A l’instar de Kubrick avec Shining ou Eyes wide shut, Jens Lien édifie un film cerveau dont les ramifications sont infinies et les interprétations multiples. Preuve s’il en est des grandes œuvres.

Rien de moins qu’une œuvre majeure, au discours philosophique proche du Stalker de Tarkovsky.

Titre original : Den Brysomme mannen

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Durée : 95 mn


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