Jeanne est une belle femme d’une quarantaine d’années. Les premiers plans nous la montrent silencieuse, le regard lointain, comme si se jouaient déjà les prémices du déchirement qui s’opère en elle. On la sent emmurée dans une souffrance sur laquelle elle ne parvient pas à mettre des mots. Ce n’est pourtant pas faute d’essayer : elle présente à son éditeur un roman personnel où elle retrace son enfance, vaine tentative cathartique qui au final ne fera que déclencher les évènements. En fait, Jeanne n’a plus aucun souvenir de son enfance. Il y a en elle une part encore non élucidée qui touche à son identité profonde.
Tout son parcours consistera alors à partir à la recherche de son histoire, torturée comme il se doit. Le mouvement qui se joue en elle est véritablement surprenant : c’est en « perdant » ses souvenirs, ses repères affectifs, mais aussi son propre visage et son propre corps, qu’elle s’ouvre la voie d’une reconquête d’elle-même. Comme s’il fallait tout effacer pour pouvoir mieux reconstruire, tuer le « faux » soi pour laisser naître un moi plus fort et plus équilibré. Portée par une force qui la dépasse, l’héroïne est confrontée à ses propres démons, lutte au cours de laquelle elle s’arrogera le droit de découvrir la troublante vérité.
Pour mettre en forme cette trame, la réalisatrice s’appuie sur une structure narrative étonnante. Sophie Marceau, qui interprète Jeanne pendant toute la première partie du film, voit son corps et son visage se transformer, et le jeu de morphings l’amène à prendre les traits d’une autre femme, incarnée par Monica Bellucci, pendant la seconde partie du film. Une idée très inventive, qui en devient géniale grâce à la présence des deux actrices : on imagine mal le même récit mettant en scène deux femmes moins belles, moins connues et moins talentueuses.
Ne te retourne pas traite donc de manière originale le thème de l’identité. Un film efficace et souvent troublant, bien maîtrisé et remarquablement interprété (les seconds rôles sont également très convaincants). Cependant, si la réalisatrice semble avoir bien en mains son sujet, on pourra déplorer l’avalanche d’effets quelque peu surfaits. L’utilisation des morphings étant en elle-même un procédé suffisamment marquant pour ne pas en « rajouter une couche ». Les plans jouant sur les effets de lumière sont parfois navrants, les transitions bien peu inspirées et quelques scènes (au début en particulier, comme le dialogue entre Marceau et son éditeur) pathétiques et répétitives.
À vouloir un peu trop en faire, le film marche sur un dangereux fil qui l’amène parfois à tomber dans l’esbroufe. Toute quête identitaire est douloureuse, violente et portée par une force que l’on ne maîtrise pas. Les rouages psychologiques qui se mettent en branle sont complexes et leur puissance impossible à maîtriser. Mais Ne te retourne pas semble omettre un dernier aspect important : l’introspection et le changement intérieur. Figurer ce changement intérieur par une transformation corporelle spectaculaire (S. Marceau devient M. Bellucci) était une bonne idée : ce n’est pas tant un changement extérieur qui s’opère (ce n’est pas le regard des autres qui bascule soudainement), mais bien une destruction puis une reconstruction de l’image que l’héroïne porte sur elle-même, mouvement motivé par la découverte progressive de sa propre histoire. Il eût peut-être fallu aller un peu plus loin dans le travail d’introspection mis ici en jeu, car montrer deux, trois, quatre plans fixes (ou autant qu’on voudra) d’une Sophie Marceau ou d’une Monica Bellucci en pleurs, c’est bien, mais insuffisant, et ça finit surtout par être lassant.