Nana

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Valérie Massadian rappelle que lorsque le cinéma s’attache aux plus petites choses, il atteint parfois l’émotion la plus forte, la plus déstabilisante.

À l’inverse de premiers films français récents, étrangement académiques et dépourvus de personnalités (Le Paradis des bêtes, L’Hiver dernier), le long métrage de Valérie Massadian (au demeurant plutôt court, 68 minutes) ramasse son ambition, ne disperse jamais son énergie, délimitant avec cohérence son univers autour d’un personnage, Nana.

Nana a 4 ans. Sensation bien lointaine, dont nous n’avons pratiquement rien gardé. Dans une campagne française, elle vit sa vie d’enfant. Son grand-père est éleveur de porcs, elle et sa mère vivent au creux des bois, dans une petite maison de pierres. Il serait délicat de vouloir dérouler plus la trame du film, tant elle est ténue, voire inexistante, sans importance comparée à la richesse de ce qui est révélé. La cinéaste a durant des mois entrepris un travail d’apprivoisement avec la fillette (Kelyna Lecomte), partageant son quotidien, obtenant tacitement l’autorisation d’enregistrer ses faits et gestes, mais la laissant aussi seule inventer ce petit personnage qu’est Nana.

Approche documentaire de l’humain, Nana évoque l’observation bienveillante du Depardon de Profils Paysans (2004) ou de La Vie moderne (2008), bien plus que le Ponette (1996) de Doillon, auquel on serait tenté de rapprocher à tort le film. Seul le désir de restituer cet âge si crucial qu’est l’enfance pourrait éventuellement lier les deux films, tant Valérie Massadian a finalement abandonné toute entreprise de scénarisation autre que celui du montage. Laissant à chaque prise tourner sa caméra, parfois durant 40 minutes, elle obtient de l’enfant des moments de grâce cinématographique sans jamais influer sur son comportement face à la caméra. Sans interférer avec le temps, la cinéaste a enregistré les faits et gestes de son actrice au sein des décors, tentant de rendre sa caméra invisible afin de ne jamais perturber l’inconscience de la petite, sa profonde solitude, les errements de l’enfance, les phrases sans queues ni tête, l’imagination, les maladresses et la liberté absolue. Le travail de captation sonore, à la fois pure attention à la nature et à ses bruits incessants, vise aussi à mettre au premier plan l’entièreté des paroles de Nana, sa respiration, ses murmures.

 

Les plans prennent leur temps, toujours fixes, près du sol, près de l’enfant et de la terre. Composant des tableaux en grand angle, ouverts sur la nature, régnant toujours en maître dans le plan, la réalisatrice laisse la minuscule figure de l’enfant s’ébattre dans le cadre. Le film a des allures de conte de fées sombre, la végétation n’y est pourtant pas menaçante, mais elle est emplie de mystère, de solitude, bien plus personnage qu’élément de décor. Par ailleurs, l’aménagement de l’intérieur de la maison témoigne de l’expérience de photographe et de décoratrice de Valérie Massadian, inscrivant par quelques éléments la maison dans un imaginaire passé, dans une sorte de nature morte indifférente au sort de l’enfant.

Lors d’une scène la fillette et sa mère partagent un moment de transmission orale par la lecture d’un conte, extrait d’un vieux livre rouge pareil à un grimoire de sorcières. Histoire de cœurs échangée entre un homme et son chien, le conte vient rappeler l’importance des relations entre l’homme et l’animal, cette interdépendance nécessaire à la survie qui imprègne au film toute sa ruralité. Dès la première scène, où en présence d’enfants, les éléveurs tuent péniblement un cochon (attention, âmes sensibles…), on est saisit par ce geste implacable, nécessaire et indifférent. La vie des hommes de la terre, des éleveurs, confrontant très tôt leurs propres progénitures au bien-fondé de la mort des animaux pour se nourrir, passe par la rencontre avec la mort, et ce bien plus tôt lorsqu’on grandit à la campagne, semble nous rappeler Valérie Massadian. Cette confrontation passe pour l’enfant par celle d’un lapin. Se retrouvant soudain seule dans la maison, elle reproduit les gestes observés chez les adultes, perpétuant ce petit monde qui est le sien, jusqu’à réaliser brusquement que le lapin est bel est bien mort. Métaphoriquement, c’est la disparition de la figure maternelle, incertaine, un peu brusque, puis absente, qui semble toucher la petite. Petit Poucet abandonné en pleine nature, on perçoit vite les limites de sa force, et encore une fois, de la fragilité de l’enfance, qui bientôt aura disparu. Rarement en tous cas on avait pu ressentir enregistrement plus sensible de cet état fuyant.
 

Titre original : Nana

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Durée : 68 mn


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