My Sweet Pepper Land

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Seuls sont les indomptés.

Erbil, Kurdistan. Un condamné à mort doit mourir. Par pendaison, la loi le veut et le somme. Les cadres sont serrés et le décorum inédit : une cour de récréation en guise de tribunal d’application des peines et un panneau de basket comme potence. Le supplicié est élevé, résiste, longtemps, puis enfin suffoque. Des chiures d’oiseaux viennent aussitôt récompenser les bourreaux, des sommités locales ridiculement montées à la capitale veiller à ce que ce simulacre de justice soit respecté. Parmi elles, Baran (Korkmaz Arslan), ancien combattant de l’indépendance kurde, qui dépité de la tournure grotesque qu’aura pris l’évènement, donnera bientôt sa démission.

Bientôt dépêché dans la région de Khwakork, à la frontière turco-irakienne, Baran croit toujours dur, soldat qu’il est, qu’il peut contribuer à faire respecter les lois écrites dans les hauteurs dépeuplées et contrebandières d’une région dont les principes sont aussi archaïques et désuets que ceux de la Mésopotamie. Il y rencontre Govend (Golshifteh Farahani), l’institutrice du village, dont la beauté, l’indépendance voire même la fonction semblent confiner de fait à des mœurs décousues et contraires à celles plus traditionalistes des gens d’ici. Entre eux, un seigneur de guerre et sa horde de supporters et des femmes maquisardes qui leur résistent, Kalashnikov à la main, dans l’espoir d’un égalitarisme qu’elles savent pourtant qu’elles n’obtiendront jamais d’eux – pour elles, ce « maquis, c’est la liberté ».

 

 

Ayant fui l’Irak à l’âge de 17 ans, Hiner Saleem reste sensiblement attaché à son Kurdistan qu’il trace en un sillon singulier depuis plus de vingt ans, neuf films (1) et un ouvrage, Le Fusil de mon père (2004), vision d’enfance d’une famille sous le régime sanguinaire de Saddam Hussein, développant une œuvre mémorielle aussi remarquablement passionnée que jovialement nationaliste sur l’identité kurde. Dans la note d’intention de My Sweet Pepper Land, Hiner Saleem affirme, avec un anachronisme bienvenu, que le Kurdistan d’aujourd’hui – tout au moins depuis le 15 octobre 2005 et la reconnaissance par la Constitution irakienne du Kurdistan comme région autonome – ressemblerait fort au Far West états-unien de jadis, où tout était alors à construire dans un cadre naissant et nouveau de démocratie. 

C’est ainsi, par l’entremise des référents mythiques que sont ceux du western, qu’Hiner Saleem transpose dans les hauteurs kurdes une fabula dont les atours sont autant allégoriques que contemporains. Ainsi, l’aridité d’un paysage vierge filmé en décors naturels lui permet d’exacerber une veine cosmique, celle de sa terre kurde, la lutte géographique et morale entre rebelles et redresseurs de torts à dos de cheval, de découper sereinement son récit en trois actes, l’irruption problématique d’une histoire d’amour, de déployer enfin son nœud dramatique : la persistance de l’obscurantisme des uns face aux désirs de justice et d’indépendance des autres.

 

 
 
Néanmoins, les emprunts stylistiques ne se veulent pas simples réjouissances cinéphiliques mais bien au bénéfice de la narration, et le personnage de Govend, interprété par une Golshifteh Farahani devenue le symbole d’un féminisme ici brandi à effet par Hiner Saleem, syncrétise par le motif de l’union interdite avec Baran (2) toutes les tensions sexuelles et religieuses entourant la question de la femme au Moyen-Orient. Aussi, la mise en scène, coutumière chez le cinéaste et classique dans le bon sens du terme, privilégie les focales moyennes et la limpidité d’un découpage mettant en invisibilité le montage pour happer par une narration qui renferme en elle, parfois abandonnée à une improvisation certaine, des enclaves d’une saisissante beauté. À ce titre, l’acmé dramatique du film, véritable showdown hollywoodien, confirme, avec cette fois davantage de gravité dans sa filmographie, qu’Hiner Saleem est l’auteur à part entière d’une œuvre atypique et majeure sur la condition kurde.

(1) Un bout de frontière, 1992, inachevé ; Vive la mariée… et la libération du Kurdistan, 1998 ; Passeurs de rêves, 2000 ; Vodka Lemon, 2003 ; Kilomètre zéro, 2005 ; Dol ou la vallée des tambours, 2007 ; Après la chute, 2009 ; Si tu meurs, je te tue, 2011 et My Sweet Pepper Land, 2013.
(2) Baran dont la mine et l’emploi pourraient être rapprochés de ceux du désenchanté et patibulaire Gary Cooper dans Le Train sifflera trois fois (Fred Zinnemann, 1952)

À lire : Hiner Saleem, un itinéraire, par Lucien Logette. 

Titre original : My Sweet Pepper Land

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Durée : 95 mn


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