Monsieur Klein (Joseph Losey, 1976)

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Joseph Losey parle : << En lisant des documents pour préparer ce film sur la façon dont furent livrés aux Allemands, au cours de la rafle de 1942, des milliers de juifs, je n´en cru pas mes yeux. Je ne me doutais pas d´une telle inhumanité de l´homme envers l´homme... >>

D’emblée le cinéaste veut entrer dans le vif du sujet, et quel sujet ! Plus que l’Occupation, son film va évoquer la collaboration française avec les Allemands. Dès les premières scènes, Losey plante un décor tout sauf anodin : un transistor dans la chambre de Klein exalte les LVF – soldats engagés sur le front de l’Est pour le compte de l’Allemagne –, puis sont évoqués la Préfecture de Police et son antenne, le Commissariat général aux questions juives (acteurs principaux neutres, glaciaux et terrifiants car bien réels – en même temps que désincarnés – de la collaboration).

Il y a quarante ans, la France avait refoulé les années d’Occupation, traumatisme encore proche aux cicatrices toujours à vif, dont il ne fallait pas parler de peur qu’elles ne s’ouvrent un peu plus. Il était urgent de ne plus y penser. Ceux qui constituaient la force vive de la population avaient vécu la guerre, étaient encore dans la force de l’âge au cœur des années soixante-dix. L’occupation, ses déchirements intra-familiaux souvent, ses petites et grandes lâchetés, la trahison à la nation… toutes ces braises étaient encore chaudes, brûlaient encore malgré le silence. Toute évocation, tout débat sur ces années sombres étaient inenvisageables.

Il faut songer qu’un Maurice Papon, qui envoya des enfants juifs à la mort, joua les premiers rôles sous la Ve République (il fût Préfet de Police de Paris entre 1958 et 1967 et ministre du Budget dans le gouvernements de Raymond Barre). Le bientôt Président de la République François Mitterrand entretenait quant à lui des relations amicales avec René Bousquet, qui fût un haut fonctionnaire zélé du régime de Vichy… C’est dans ce contexte de refoulement général que Losey décide, en 1975, de tourner Monsieur Klein. Un an plus tôt, Louis Malle marquait les esprits avec son Lacombe Lucien évoquant subtilement la collaboration d’un jeune garçon comme produit du « hasard » – cause fragile.

En considérant tout le cinéma sur cette période, on peut dire que Monsieur Klein comme Lacombe Lucien sont des films précurseurs car devançant – non sans un certain courage d’ailleurs – le dévoilement de l’histoire.

L’absurde, la conscience

La grande Histoire se raconte par le prisme d’une histoire particulière, un récit, un homme, un visage. Pour Losey, Monsieur Klein est cet homme, ce visage, incarné par un Alain Delon dont ce sera probablement le plus grand rôle. Ce dernier va endosser un caractère dont la complexité et l’ambiguïté déconcertent, subjuguent, interrogent. Robert Klein est issu d’un milieu bourgeois, séduisant, bien élevé, intelligent. C’est une sorte de « viveur » aimant avant tout l’argent et les femmes, réside dans un appartement confortable et semblant vivre de ses rentes. Amateur d’Art, il achète à bas prix des tableaux à des Juifs aux abois, contraints de céder leurs biens à un prix modique.

Un jour qu’il acquiert un tableau à son domicile, Klein retrouve à sa porte un journal : Informations juives, publication destinée à des abonnés juifs et publiée par la Préfecture de Police pour mieux recenser les membres de cette communauté… L’absurde, qui est la marque du film de Losey, est enclenché : Klein, désigné par cette publication qui est arrivée à son adresse, n’aura de cesse, dès lors, de retrouver son homonyme – véritable destinataire, pense t-il, du bulletin.

Monsieur Klein est d’abord un film sur l ‘ambiguïté de la nature humaine. C’est toute l’évolution de Robert Klein, personnage jouisseur, profiteur et égoïste au commencement passant progressivement au doute, à l’angoisse et sûrement à une prise de conscience des drames qui se jouent autour de lui qui nous est montrée. Losey a choisi une fin non seulement ambiguë car ouverte à de multiples interprétations, mais aussi surprenante et –  c’est la matrice de son film – insensée, illogique, irréelle… en un mot : kafkaïenne. En effet, Klein, alors qu’il peut échapper à la déportation, va, dans un double mouvement volontaire et subi, rejoindre un wagon de prisonniers. Est-il allé jusqu’au sacrifice, après avoir cherché, tout au long de l’histoire, à éloigner de lui de toutes ses forces une identité juive qui l’aurait condamné ?

Le réalisme de Monsieur Klein confine au pur l’absurde. Losey en fait la démonstration dès la première scène où un médecin officiel ausculte avec brutalité une femme pour déterminer si elle peut-être classée comme juive. La scène est glaciale, les termes employés chirurgicaux et en définitive, elle procure une sensation d’effroi et d’inhumanité. Arbitraire et brutalité qui donnent une impression d’indécidabilité, cette atmosphère kafkaïenne évoquée ci-dessus. Plus loin, nous éprouverons cette violence, cette cruauté qui devient de l’insensé, lorsque Klein sort d’un café et qu’on lit soudain à la porte une pancarte : « Interdit aux juifs ». Losey, d’une certaine manière, plante le décor, mais sa mise en scène est d’une telle force que ces éléments prennent une dimension étrange, presque irrationnelle, installant un climat flottant qui sera celui du film jusqu’à son terme.

Titre original : Monsieur Klein

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Durée : 120 mn


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