Silhouette recourbée sur elle-même à coupe de cheveux Louisebrooksienne – avatar possible de sa trajectoire inexorable de tueuse -, Olga est aussi homosexuelle. Trop peut-être pour une seule femme dans la République socialiste tchécoslovaque de 1973, tant cette particularité semble polariser autour d’elle le fatum. Au sein de ce piège inextricable qu’est le monde lui-même, seuls le carnavalesque et la marginalité rattachent encore Olga à la vie. Elle se montre ainsi sensible aux rituels cathartiques portés notamment par l’adulescente flegmatique – amante en devenir – doublant la file d’attente des ouvriers, ou encore à cette figure paternelle luttant avec elle contre l’inhumanité ambiante sous des litres de bières. Autant de petits détails au demeurant insignifiants mais ouvrant parfois l’espace d’une seconde une brèche dans le crépuscule. Au fond, tout Moi, Olga n’existe peut-être que par et pour sa courte scène centrale : un aparté de la protagoniste en forme de réquisitoire adressé au spectateur. Le regard noir tourné vers la caméra, Olga remet en question notre légitimité à la juger, ou ne serait-ce qu’à la gratifier de nos rires ou de nos larmes. Petr Kazda et Tomas Weinreb, les réalisateurs tchèques du film, articulent ce dispositif tout en sachant que le spectateur sait déjà à l’avance qu’Olga s’apprête à écraser huit piétons et à en blesser une vingtaine d’autres – vengeance et sacrifice symboliques qu’elle dédie à tous les opprimés. Dernière condamnée à mort de République tchèque, Olga décrit plus tard son crime comme un suicide par procuration à même de mettre à nu et d’exorciser les malheurs de générations de souffre-douleurs. Déjouant les assauts des tortionnaires, elle devient son propre bourreau rédempteur.
Même si Moi, Olga agence sa mise en scène Nouvelle Vague en arrière-plan, ne s’en tenant qu’à une basse lumière oppressante et à des gros plans entomologiques sur son personnage pour psychologiser et outrepasser son intrigue, cette relative sobriété se voit débordée par son interprète principale, Michalina Olszanska. Protagoniste hagarde sinon admirablement défaillante, elle réussit malgré une absence d’émotions codifiées et ritualisées à rivaliser de vivacité : son regard pénétrant d’une profondeur vertigineuse emporte jusqu’aux confins du non verbal. A contrario de la Monika (1953) de Bergman, son regard-caméra archétypal à mi-parcours prend à témoin le spectateur non pas du mépris qu’Olga a d’elle-même – celle-ci ne peut se résoudre à se ranger du côté de ses tortionnaires – mais bien de notre cruauté larvée. Reste ainsi la charge critique que Bergman attribuait à son audience, manière de rappeler le rapport de discrimination qu’entretiennent les spectateurs eux-mêmes. Entre deux battements de paupières, un monde impitoyable qui fait froid dans le dos.