Chacun chez sois
En 2020, durant la pandémie de coronavirus, diverses personnes, plus ou moins en relation les unes avec les autres, tentent de faire leur travail et d’avoir une vie normale. Segmenté en quatre séquences pouvant presque représenter quatre courts-métrages distincts, MMXX montre, dans sa première histoire, une psychologue qui rencontre sa nouvelle patiente et qui l’aide à répondre à un étrange questionnaire. La seconde suit la relation conflictuelle que cette psychologue entretient avec son frère tandis que son compagnon, étudiant en médecine, tente de réviser pendant cette soirée. La troisième suit ce compagnon durant une pause à l’hôpital pendant laquelle il prête son oreille à un ami ambulancier qui lui conte sa relation avec une prostituée aux prises avec un gangster. Enfin, la dernière histoire tourne autour de policiers faisant face à une victime du dit gangster. Et bien qu’il fractionne son film en quatre, Cristi Puiu, qu’il recoure au plan séquence pour les histoires une et trois ou à la caméra à l’épaule nerveuse qui découpe l’espace en de multiples plans pour les histoires deux et quatre, respecte toujours l’unité de temps et de lieu de ses scènes. Ce faisant, il représente avec efficacité, au travers de ce chapitrage rigide, l’isolement physique des individus durant la période Covid.
Entre psychose et névrose
Un Covid malicieusement placé au second, voire au troisième plan au sein des intrigues, voire réduit au rang de détails dans la vie de personnages aux prises avec des problèmes existentiels tantôt profonds, tantôt risibles, et qui tournent souvent autour de la sexualité. Au point que l’événement mondial qu’est le Covid acquiert ironiquement le statut d’épiphénomène, en regard du mal-être et des névroses de la société roumaine exposés au travers des conversations des personnages. Le sommet de cette ironie atteint un pic par le fait que si la plupart des individus ont pour phobie la maladie physique, chacun tend à négliger, voire à nier (y compris durant la première histoire) la maladie psychologique. Tant et si bien que les multiples conversations prennent une allure de psychanalyses sauvages et improvisées, car impensée. Ce faisant, l’allure de conte postapocalyptique que prend le film, notamment du fait des quelques plans de matériels détruits dans la nature qui servent de transition en s’insérant entre les quatre histoires, n’émane pas tant du Covid que des problèmes de la société roumaine.
Sans rires ni larmes
Cette relégation de la pandémie à un rang accessoire est accentuée par le fait que les personnages parlent et discutent entre eux avec aisance, face à face ou par téléphone. Sachant qu’outre leurs thèmes, l’autre point commun des conversations réside dans le fait que si tout le monde parle, aucun dès interlocuteurs n’écoute véritablement l’autre. Ce détachement des individus, leur attitude d’apparence impassible lorsqu’ils révèlent leur intimité ou à l’inverse l’absence de réaction empathique face aux malheurs de l’autre, achève de donner son ton acide à l’œuvre. Une acidité qui dispose d’un versant politique, exprimé lui aussi au travers du parti pris de la segmentation des histoires : cette dernière représentant aussi une segmentation de classe. Les classes élevées parlent ainsi de problèmes plus superficiels tandis que les classes populaires parlent de tragédies. Les unes et les autres, par la structure de l’œuvre, ne se mélangeant pas, le sentiment de claustrophobie de MMXX n’émane pas tant du fait que trois des quatre histoires se déroulent en intérieur, de l’unité de temps et de lieu, de l’absence de musiques extradiégétique, ni même de ses plans séquences, que de cette rigidité sociale.
Mais…
L’auteur dresse ainsi le portrait d’une société roumaine désabusée et égoïste, dont l’efficacité est achevée par la qualité de jeu des interprètes. Une qualité évidente durant les deux scènes tournées en plans séquences, et qui consiste en ce que chacun d’eux parvient à laisser transpirer, malgré l’allure détachée de son personnage, des détails suggérant tout de même l’émotion ou le sentiment. Ce qui permet de nuancer subtilement la radicalité du point de vue du cinéaste et qui évite tout manichéisme. Cette subtilité est rendue possible par la qualité de l’écriture de Cristi Puiu qui, par la digression, fait prendre des chemins de travers aux conversations, ce qui permet d’en apprendre assez sur les personnages pour créer de l’empathie à leur égard malgré leur cynisme. Cette écriture permet par ailleurs de générer un certain suspense qui accroche l’attention d’un bout à l’autre des séquences. Cette virtuosité scénaristique, couplée à la durée des scènes, permet enfin à l’auteur de faire fluctuer le ton de chacune de ses quatre séquences, qui oscillent entre l’ironie et le drame, ce qui créer à la fois de l’amusement et de la tension chez le public, et qui rend chaque histoire aussi complexe qu’imprévisible.
Pas que les roumains !
Les lumières de MMXX sont travaillées pour redire la fadeur ou la peur de la maladie des personnages à l’écran, qu’elles soient physiques ou psychologiques. Elles accentuent ainsi à la fois le sentiment de claustrophobie et l’ironie satirique du film. L’œuvre se place aisément dans la filmographie de Cristi Puiu : elle est une forme de suite de son grand La mort de Dante Lazarescu, mais avec, peut-être, une accentuation de son côté fataliste et désenchanté, ce qui n’était pas une mince affaire. Parfois un peu confus du fait de l’enchaînement des quatre séquences les unes avec les autres (le public passant un peu trop de temps à chercher en quoi elles sont reliées entre elles et, ainsi, il voit son attention décroître) MMXX ne s’en regarde pas moins avec plaisir tant ses qualités plastiques et scénaristiques sont une évidence. L’universalisme de son analyse des travers de la société roumaine, comme de ses membres, peut, quant à elle, se transférer avec aisance sur toute société occidentale, française inclus.