Masters of the Air (sortie sur Apple TV+)

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Les deux premiers épisodes de « Masters of the Air » sont diffusés ce soir, en avant-première, dans le réseau mk2.

Maux de l’air : Les leurres du mal.

La dernière création originale d’Apple TV+, Masters of the Air, est un gros jukebox qu’on a conçu de sorte à ce qu’il soit capable, sur commande, de cracher des clichés. Regarder par le judas de la série de John Shiban et de John Orloff, c’est y voir un océan d’yeux bleus innocents, ceux des jeunes hommes qu’on a envoyés mourir pour leur pays lors de la Seconde Guerre Mondiale. C’est y voir un orchestre de cuivres, chaque instrument nous signalant l’importance de ce qu’on est en train de découvrir, et chaque note ponctuant un générique où des silhouettes en contre-jour découpent des couchers de soleil. Des photos de bien-aimées restées à la maison, des dialogues d’hommes naïfs, qui encaissent la dure réalité du conflit… sont les éléments caractéristiques qui font le sel et le poivre de cette adaptation de roman historique, et ils flottent dans le récit comme autant de petits flocons dans la boule à neige porte-bonheur du Lieutenant Bubbles Payne (Louis Greatorex), ou comme autant de nuages de détonations, figés dans le ciel et tirés depuis les tranchées par l’ennemi allemand. Les déboires de la 100ème escadre de bombardement des forces armées américaines, en tant que moteur d’une œuvre fictionnalisée, ne représentent pas franchement des aventures inédites, pour un public moderne – mais, faute de mieux, le spectateur aura au moins une poignée de performances charismatiques à se mettre sous la dent. Celle d’Austin Butler dans le rôle du major Buck Cleven : le golden blond hollywoodien n’a pas encore abandonné ni la voix ni la bonhomie de sa version d’Elvis. Celle de Callum Turner dans le rôle du major Bucky Egan : l’acteur londonien est agréablement contradictoire dans la peau d’un officier enthousiaste, mais qui s’en veut de ne pas être plus détruit par la violence autour de lui. Des bombes seront larguées, des pilotes seront parachutés, des larmes seront versées… Mais si la série a bel et bien du pédigrée, notamment grâce à la genre credibility de Cary Joji Fukunaga (il réalise les 4 premiers épisodes), on ne pourra pas s’empêcher de se dire qu’il manque quelque chose.

Ça tient peut-être à un engagement corporel ? On sait de Barry Keoghan qu’il peut être un acteur fascinant et très fin. Dans le rôle du lieutenant Biddick, son visage unique sera surtout utilisé afin qu’on le reconnaisse entre 1000 soldats masqués et casqués dans les scènes en cockpit. Ça tient peut-être à un manque d’inventivité dans les chorégraphies aériennes ? Filmer des dogfights en aéronefs n’a jamais été une chose facile. Mais le trop grand recours à l’image numérique radieuse et hyper-lisible, dans Masters of the Air, tend à décevoir, il crée une distance malvenue entre le public et ce à quoi il est en train d’assister ! Mis à part les nuages explosifs qu’on a mentionné (dans leur cas, l’aspect flottant des images de synthèse fonctionne en effet plutôt bien), les impacts n’ont pas beaucoup de poids, pas de force de traction. Utilisant, comme canevas, les ballets sanglants des cieux dans la Seconde Guerre, Masters of the Air aurait pu être une belle proposition de série d’action, mais elle se tire une balle dans le pied.

Son plus beau plan est celui de la course à vélos dans laquelle se défient, entre eux, les officiers rentrés de mission. Son deuxième plus beau plan est celui dans lequel, fixée à l’arrière d’un camion, la caméra suit un convoi acheminant des bombes, et tremble à chaque irrégularité de la route. Son troisième plus beau plan est celui de la préparation de la Cène, à la cantine – The Last Supper, comme l’ont surnommé nos G.I. sur le départ, ce repas surprotéiné censé leur donner de la force et du baume au cœur avant une offensive. Ces trois plans sont dynamiques, bien composés, ils illustrent parfois des situations touchantes, et ils ont des vraies choses à raconter : La camaraderie en acier forgée entre ces soldats, et la juvénilité qu’ils ont besoin de s’accorder ; l’extensivité de la machine de guerre Américaine, et la distance que doit parcourir chaque arme ; l’irruption de la normalité dans l’extraordinaire, et la chaleur cultivée avec effort qui existe dans cette communauté à créer. Masters of the Air est un beefsteak façon Frank Capra qui a quelques pirouettes réussies à son actif, mais c’est un vrai souci pour son projet narratif qu’aucune de ses séquences d’aviation ne soit aussi mémorable que celles-ci. En regardant Masters of the Air, on a l’impression qu’elle n’a rien à nous apprendre sur ce que ça fait, d’être pilote – Si elle nous dit quelque chose, on ne l’entend pas. Peut-être que tout a déjà été dit sur le sujet. On ne peut pas reprocher à une production individuelle la popularité du genre du film de guerre. Mais on ne peut pas oublier cette dernière pour autant ! Quel dommage qu’on ne ressente pas ici le sentiment de liberté qui caractérise d’habitude la fiction de pilotage. Même des propositions pas tellement brillantes, comme Air America, de Roger Spottiswoode, réussissaient à nous offrir une approche différente de l’utilisation de l’espace en trois dimensions. C’est parce que les Air America de ce monde utilisaient de vrais coucous, pas des modélisations digitales !

Des pistons, et pas que dans les moteurs.

Continuons cette critique avec un point d’histoire : la projection privée la plus importante de l’histoire de la forme blockbuster, et donc, de l’histoire du cinéma américain (et donc, potentiellement, d’une certaine vision du soft-power de ce pays), a eu lieu au début de l’année 1977, chez George Lucas en Californie, en compagnie de ses amis Steven Spielberg, John Milius et Brian De Palma. Le réalisateur de THX 1138 avait en effet choisi de leur montrer une monture de son ambitieux dernier projet de science-fiction. Suivant ce fait, les images bouche-trou/les séquences temporaires les plus importantes de l’histoire de la forme blockbuster, et donc, du passage du Nouvel Hollywood à l’industrie filmique telle qu’on la connaît aujourd’hui, appartiennent bien à ce montage-test du premier Star Wars – et sont en réalité un collage qu’on imagine Koulechovien d’extraits provenant de dizaines d’heures de combats aériens de la Seconde Guerre Mondiale, prises de vues qui ont été capturées sur le vif, puis, des décennies plus tard, étudiées patiemment par cette voix émergente de la génération baby boomer. En calquant des séquences-clés de son épopée spatiale sur des images militaires, George Lucas a ainsi réussi à placer, dans l’ADN même du film blockbuster, l’héritage du dogfight en avion. Entre propagande triomphante et tambourinée, et versant plus sombre de la guerre sur le front, les images d’avions de combat représentent une constellation d’idées multiples et complexes aux yeux des spectateurs Américains. Et si des tentatives comme Top Gun ont pu, plus tard, tenter de la domestiquer, la puissance évocative des B-25 et des P-40 existe toujours dans chaque actionner mainstream qui sort des États-Unis, dans une forme dormante – tout comme le cerveau reptilien existe toujours quelque part, caché, dans les cellules grises des êtres humains.

En produisant Masters of the Air, on pouvait donc imaginer que Steven Spielberg faisait un geste envers son passé, un autre envers celui de son industrie, et chapeautait une sortie qui aurait pu remettre dans notre regard la grandeur des chorégraphies aéronautiques qui ont fendu le ciel pendant le XXème Siècle. Mais, puisque la série ne parvient pas à être aussi énergisante qu’on est en droit de l’attendre de chaque œuvre sur l’aviation, on a du mal à envisager que la contribution de Spielberg se traduise autrement que par la présence de son fils Sawyer (ce dernier joue le lieutenant Claytor). Pire que tout, la présence du nom de Spielberg au générique invite des comparaisons qui desservent Masters of the Air : en la visionnant, on se dit surtout que désormais, on connaît la différence entre Spielberg et d’autres cinéastes. Quand on demande à un réalisateur ordinaire de mettre en scène un avion, celui-ci va filmer son trajet. Quand on demande à un Spielberg de mettre en scène un avion, celui-ci va filmer son décollage : Quel est, après tout, l’idée derrière E.T. et Rencontres du troisième type, si ce n’est de nous préparer, toutes leurs durées, à être témoins d’un envol ? Masters of the Air, plan Marshall anecdotique d’Apple et d’Amblin, filme le trajet. C’est une opportunité manquée, d’autant plus, on le répète, que les comédiens y croient : Rafferty Law est plutôt humain en sergent Ken Lemmons, mécano de l’extrême. Nikolia Kinski est admirablement peu avenant en Colonel Harold Huglin.

Comment résumer Masters of the Air ? Par une remarque : la mer y est mieux filmée que le ciel. Comment comprendre Masters of the Air ? C’est une œuvre qui a de bonnes intentions, mais qui aurait gagné à être une série de vieux, pour vieux : les images les plus vivantes qu’on ait vu ces dernières années viennent après tout d’un géant du divertissement quasi-octogénaire, qui travaille toujours avec beaucoup d’adresse le blocking de ses acteurs. Comment promouvoir Masters of the Air ? En étant honnête : On a tous déjà vu cette série. Il vous suffit d’en regarder le générique pour savoir si vous avez envie de la revoir.

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