A l’écoute de la Nature
Pour apprécier pleinement le deuxième long métrage de fiction de la réalisatrice brésilienne, Beatriz Seigner, qu’elle a mis presque dix ans à écrire, il faut laisser de côté le réalisme et le cartésianisme pour se laisser envahir par ce conte réalisé à la manière de Jia Zhangke ou encore de Tsai Ming-liang ou d’Apichatpong Weerasethakul qui savent si bien écouter et filmer la nature. Sur fond de guerilla opposant les Farc aux forces armées de Colombie, Beatriz Seigner nous offre ici un film dans lequel les réfugiés colombiens au Brésil, juste à la frontière, vivent chichement mais dignement dans une île appelée « La isla de la fantasia ». Cette île amazonienne présente la particularité d’être envahie par les eaux quatre mois par an et de refaire ensuite surface le reste du temps. De plus, elle est peuplée de fantômes qui errent parmi les vivants, les influencent et quelquefois les habitent. On les reconnaît parce qu’ils sont plus brillants et la réalisatrice s’y est employée pour donner des couleurs fluo à ces personnages morts vivants parce qu’ils ne sont pas noirs et dangereux comme le veulent les traditions funèbres occidentales, mais parce qu’ils sont gais et scintillants.
Des fantômes fluo
Avec l’aide de Marcelo Gomez, qui s’est occupée des décors et des effets spéciaux, elle donne à la scène finale de son film, lors des obsèques sur l’Amazone, une dimension féerique et colorée qui fait un peu penser à la scène inaugurale du Temps des Gitans d’Émir Kusturica. Toute cette féerie qui joue sur le passage entre le monde des morts et celui des vivants ne laisse cependant pas de côté la dimension politique et sociale du film qui interroge sur le sens du pardon. En effet, comment continuer à vivre alors que des hommes sont responsables de la mort des gens qu’on aime. La Colombie transportée dans ce coin du Brésil pas très éloigné de la frontière colombienne continue les traditions de démocratie à travers les différents débats organisés par les habitants, mais aussi par la dignité des citoyens qui veulent continuer à vivre, malgré la misère, en ayant une haute opinion du savoir et de la liberté. C’est l’image de la mère, magistralement interprétée par la grande actrice Marleyda Soto, qui rend au mieux cette dignité solaire et résignée à la fois. Ne jamais perdre espoir, continuer à élever ses enfants même si son petit garçon, Fabio, interprété par le tout jeune Adolfo Salvilvino, découvert après un long casting dans des écoles, est particulièrement frondeur et révolté.
Une île surréaliste
C’est un film d’espoir et de ténacité qui joue sur le calme et la monotonie apparents de la vie, ponctuée par les tâches domestiques, la recherche du travail et le partage avec les fantômes bienveillants de la famille, dans une mise en scène d’une lenteur et d’un onirisme voulus qu’il faut accepter certes, mais qui conduira alors le spectateur dans une vision originale, quasi surréaliste, de la vie lorsqu’elle est gouvernée par les éléments, et le maître temps. D’ailleurs, les images de Sofia Oggioni contribuent au caractère éminemment féminin de ce film qui utilise en fait très peu la musique additionnelle, sauf au début et à la fin, pour ne privilégier, grâce au travail de Gustavo Nascimento, Fernando Henna, Daniel Turini et Jean-Guy Véran, que les sons organiques de la nature comme le bruit de l’eau, du vent, le coassement des grenouilles, le bruissement des feuilles et les résonances du bois.