Liv et Ingmar

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Un jeune réalisateur indien se penche sur la vie et la carrière de l’égérie d’Ingmar Bergman : un film léger et grave, en équilibre instable entre la vie et la mort, le réel et l’imaginaire.

Quelle bonne idée d’avoir demandé à Liv Ullmann de se confier à la caméra d’un jeune réalisateur indien, Dheeraj Akolka. Tout d’abord parce que c’est réellement inattendu, et ensuite parce que cette rencontre se fonde sur un échange d’émotions. Il le dit lui-même : « Le cinéma est fondé sur les émotions et non sur la nationalité du réalisateur ! Le cinéma est un art de l’émotion, définitivement ». Le principe peut paraître simple : demander à Liv Ullmann de raconter ses souvenirs concernant son travail et sa relation avec le grand Ingmar Bergman. Mais dans la pratique, rien ne s’est fait aussi facilement. Au départ, et c’est elle-même qui le raconte, Liv n’était pas du tout d’accord. Il a fallu l’insistance et l’entregent du producteur pour qu’elle consente enfin à rencontrer Dheeraj Akolkar et qu’elle tombe sous le charme de l’homme, et surtout de sa grande capacité d’écoute. « Dheeraj, dit-elle, parle un langage qu’Ingmar aurait apprécié. » L’entretien se fera donc sur la légendaire île de Faro, mais ce que le réalisateur ne savait pas, c’est que Liv Ullmann avait demandé une clause. Si le film une fois terminé ne lui plaisait pas, elle se réservait le droit de le faire savoir haut et fort.

Le film est une réussite et, pendant 83 minutes, le spectateur écoute la douce voix de Liv Ullmann qui revient sur sa vie, non sans émotions. Son visage est encore d’une très grande beauté. Il émane d’elle une force et une sincérité rares au cinéma, surtout concernant une star d’une telle importance. Pas de pathos pourtant, mais des mots d’amour : amour d’un homme, lettres d’amour montrées à la caméra (maintenant appartenant au fonds de la Fondation Ingmar Bergman), pleurs par moments, hésitation, souvenirs précis. Tout est là : une vie de cinéma et pour le cinéma avec application, détermination mais grande douceur.
 
 

Maintenant que le temps est passé, certes la douleur est moins intense et Liv Ullmann peut même parfois sourire devant des souvenirs et des images comme celles du film Sarabande (2003) dans lequel le Maître revient sur sa propre vie. À mots couverts, Liv Ullmann aborde aussi les tensions qui apparurent très vite dans leur couple, sa douleur lors de leur séparation, la vie sans lui, et même sa mort. Mais rien de scabreux ou de people, tout est dit et cependant rien n’est obscène, aucun étalage de sentiments et de faux secrets. Mais une confidence qui réchauffe le cœur : malgré tout, Ingmar est resté pour elle, toute sa vie, son meilleur ami. C’est cette alchimie qu’on rencontre quelquefois entre un réalisateur et son actrice fétiche (comme Fellini et Masina, Rossellini et Magnani, et en un certain sens Visconti et Mangano) qui fait toute la force du cinéma mais aussi d’une relation à la vie à la mort.

Occupant une place prépondérante dans le cinéma d’Ingmar Bergman, mais aussi dans le cinéma mondial puisque Liv Ullmann fit aussi carrière aux États-Unis, et pas toujours avec beaucoup de bonheur, il était important d’obtenir d’elle ces confidences qui peuvent expliquer une œuvre et ses mystères. Juste à la fin d’une vie bien remplie, un peu avant de passer elle aussi dans un autre monde, comme elle le confie au réalisateur, il restera toujours ce très joli film, léger et grave tout à la fois, qui nous donne un peu des nouvelles d’une star toute simple et vivante jusque dans ses hésitations et ses rides. Son sourire, tellement peu semblable à celui des carnassières hollywoodiennes qui envahissent les écrans de télévision pour vendre leur carrière, étincelle et donne de la force, d’autant que Liv Ullmann, on le sait, est aussi cinéaste. Elle entreprendra bientôt le tournage de Mademoiselle Julie d’après Strindberg et mettra prochainement en scène à Oslo Oncle Vania de Tchékhov. Liv & Ingmar apporte du soleil, grâce à la belle lumière de Faro ainsi qu’à ses deux livres autobiographiques, Devenir (1976) et Décisions (1984). Une très belle vie et une belle leçon.

Titre original : Liv et Ingmar

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Durée : 83 mn


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