Entretien avec Lisa Langseth

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Dans « Pure », poignant portrait d´une jeune banlieusarde convertie à la musique classique, la Suédoise Lisa Langseth transpose la lutte des classes dans le cadre faussement douillet de l´orchestre philharmonique de Göteborg. Une double histoire de domination – masculine et culturelle – que nous explique cette réalisatrice débutante mais prometteuse.

Pure était au départ une pièce de théâtre. A quel moment avez-vous décidé d’en faire un film ?

La pièce que j’avais écrite était un monologue [Den älskade, « L’aimé », NDLR] : le personnage de Katarina, joué par l’actrice Noomi Rapace [Lizbeth Salander dans la série Millénium] racontait l’histoire de son unique point de vue. Bizarrement, le film se déroulait dans ma tête au fur et à mesure de l’écriture et j’ai su que j’essayerai d’en tirer un long métrage.

Quelles ont été les difficultés d’adaptation ?

Comparer le théâtre et le cinéma serait aussi pertinent que de comparer le tennis et le ski. Il faut tellement de temps et de gens pour faire un film… Pour moi, la plus grande différence tient au fait que j’ai dû apprendre à travailler avec des images et non plus seulement avec des corps dans une pièce. Mais j’ai adoré les deux « processus de fabrication ».

D’où vous vient cette fascination pour l’univers de la musique classique ?

A mes yeux c’est un milieu secret, quasiment mystique, où l’on parle une langue étrangère aux non initiés. Je n’y connais pas beaucoup plus que Katarina et j’ai découvert cet univers et le choc des classes qu’il peut provoquer avec elle. Enfant, je pensais être handicapée par ces différences sociales car j’ai grandi entre un père très cultivé, issu de la bourgeoisie et une mère issue de la classe ouvrière. Aujourd’hui ce thème est mon principal centre d’intérêt.

Dans « Klimax », votre pièce de théâtre inspirée des émeutes en banlieue, le choc des classes se faisait de manière très violente. Ici, la douceur n’est qu’apparente…

L’affrontement entre les classes me semble aussi naturel qu’inévitable, mais il peut se passer de brutalité et se contenter de bouleverser votre âme. C’est ce qui m’est arrivée : j’ai longtemps ressenti une grande violence émotionnelle.

Voyez-vous d’autres passerelles entre Pure et « Klimax » ?

L’idée de « Klimax » m’est venue en découvrant à la télévision les images des émeutes parisiennes de 2007. Ce qui m’a frappé, c’est de voir à quel point ces problèmes concernent l’Europe tout entière. Les classes sociales s’éloignent les unes des autres tout en se rapprochant géographiquement. Internet est censé être l’outil de la démocratisation du savoir, mais le choc dont nous parlions subsiste. Ce qui m’intéresse, au théâtre comme au cinéma, c’est de comprendre ce qui vous a fait devenir l’adulte que vous êtes aujourd’hui. Est-ce que tout est lié à l’enfance ? A un patrimoine génétique ? A quelque chose de bien plus puissant ? Les révolutions – individuelles ou collectives – et leurs motivations me passionnent, en particulier en Europe où nous sommes habitués au concept de liberté.

C’est la découverte de Mozart qui « sauve » Katarina. Croyez-vous à une sorte de pouvoir rédempteur de l’art ?

C’est une question compliquée pour moi. Le fait d’écouter de la musique classique ne vous empêchera jamais d’être un connard. En revanche, je crois que l’art – et notamment la musique – peut constituer une libération, un soulagement, un moyen d’expression propre qui vous rattache au monde en douceur.

Suite à ses débuts à vos côtés, la jeune Alicia Vikander est devenue un des espoirs du cinéma suédois…

Pendant un an j’ai cherché l’actrice parfaite pour interpréter Katarina : inexpérimentée mais talentueuse et suffisamment jeune pour qu’on lui pardonne ses pires actes. On me disait que j’en demandais trop, jusqu’à ce que je rencontre Alicia, une pure merveille.

Propos recueillis par Pamela Pianezza


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