Résister à la pression patronale
On a un peu peur en découvrant ce film qu’il soit avalé par l’avalanche actuelle des productions qui ne cessent d’envahir les écrans. Ce serait bien dommage car il est rare de trouver dans le cinéma français une petite pépite cependant modeste qui rend hommage aux travailleurs qui font « le pas de côté » cher à Gébé et à Doillon de L’An 01 surtout dans ce monde de technocrates et de rentabilité. Parce que, en adaptant le roman de Thierry Beinstingel, Ils désertent, Florence Vignon honore le Rimbaud de Charleville-Mézières et son « homme aux semelles de vent ». Parce que le livre et le film racontent l’histoire d’un voyageur de commerce qui bien sûr se déplace sans cesse mais qui, surtout, tente de résister au mépris et à la casse que font subir aux travailleurs les nouveaux managers d’un néolibéralisme stupide. C’est une histoire toute simple que n’importe qui pourrait trouver sur son chemin professionnel hélas, celle d’une oppression à double tranchant. Pour décrocher un CDI dans l’entreprise de papier peint qui vient de l’engager, Clémence Alpharo (Zita Hanrot), doit pousser Henri Giffard (Jacques Gamblin), VRP en fin de parcours, vers une retraite anticipée. Il faut rajeunir l’image de la petite boîte. Mais Giffard refuse. Son travail semble être la seule chose qui donne encore un sens à sa vie. Coincée entre la perspective d’un avenir professionnel qui lui permettrait de fuir ses problèmes familiaux et l’affection inattendue qu’elle éprouve pour le VRP, Clémence va devoir choisir.
Des acteurs bien dirigés
On peut rendre grâce à l’auteur et à la réalisatrice d’avoir mis à jour les rouages de cette domination qui prend de plus en plus d’ampleur. Le livre est tiré d’une expérience vécue et le film lui reste si fidèle qu’il ressemble parfois à une sorte de documentaire sur le travail moderne et ses dérives. Thierry Beinstingel est satisfait de l’adaptation de son livre et il s’en exprime sur le dossier de presse du film : « Depuis la lecture du scénario jusqu’aux derniers montages, ma satisfaction n’a cessé d’augmenter. J’ai compris ce qu’adapter veut dire : non pas paraphraser et imiter, mais assembler et transcender. Écrire sur notre quotidien au travail est assurément complexe, mais le transposer au cinéma est un défi plus grand : il s’agit de rendre bouleversant ce qui compose l’ordinaire de la vie. Le résultat est magistral : direction et jeu magnifique des acteurs, beauté des images et de la musique. »
Actrice, scénariste et réalisatrice
Il est vrai que le film, avec les images réalistes d’Aurélien Marra, peaufine magnifiquement la carrière de Florence Vignon avec ce deuxième long-métrage après Le bleu des villes pour lequel elle est aussi actrice principale. Elle a collaboré en tant que scénariste sur plusieurs projets avec Stéphane Brizé. Elle a depuis travaillé sur les scénarios de réalisateurs comme Claude Mouriéras, Cyril Mennegun, Levon Minassian, Raphael Jacoulot, Filippo Meneghetti. Un seul bémol peut-être serait la fin du film qu’on aurait aimé voir un peu plus détaillée, notamment le passage de Clémence en Amérique latine, un peu trop rapide sans doute en raison des coûts. Cependant, le travail de la réalisatrice se confronte vraiment au tragique de la condition humaine, tant dans le travail que dans la structure familiale avec ses diktats de réussite. « L’Homme debout traite en effet des rapports de force et de domination dans le monde du travail, déclare la réalisatrice. Parfois de manière loufoque, absurde. Chacun pour sauver sa peau est poussé à écraser l’autre dans une sorte de chaîne alimentaire, cruelle et impitoyable. »