L’Homme au complet gris

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Bien avant la série Mad Men…

Un film très intéressant sur le contexte social des États-Unis des années 50 mais aussi sur l’évolution et le rôle de la figure masculine à l’aune des mutations de la décennie à venir. Certaines réflexions anticipent même beaucoup, sans toutefois l’égaler, le Strangers When We Meet (1960) de Richard Quine, permettant ainsi de mettre en parallèle les crises personnelles que traversent Kirk Douglas et Gregory Peck dans les deux œuvres, même si chez Quine les problématiques portent plus sur le futur que L’Homme au complet gris, où elle sont très ancrées dans un contexte socio-économique d’après-guerre. Nunnally Johnson, scénariste chevronné, signe bien évidemment le script de ce qui est une de ses rares réalisations. Celui-ci est adapté du roman éponyme de Sloan Wilson, en grande partie autobiographique, autant dans sa description du monde de l’entreprise (notamment son expérience en tant qu’assistant du directeur de la US National Citizen Commission for Public Schools) que dans son passé de soldat durant la Seconde Guerre mondiale.

On suit donc le destin de Tom Rath (Gregory Peck), un modeste employé de bureau et un père de famille à la croisée des chemins. Son épouse (Jennifer Jones) lui reproche sa passivité et son manque d’ambition, qui forcent la famille à mener une existence précaire. Un échange très dur en début de film amorce l’introspection de notre héros, où l’on découvrira progressivement à quel point l’expérience de la guerre a pu changer l’homme qu’il était. Au détour de plusieurs flashes-back où ressurgissent des souvenirs enfouis, on découvre ainsi certains des pires moment de l’existence de Rath (mise à mort cruelle pour survivre, pertes parfois terribles de ses compagnons d’armes) mais aussi des plus beaux, comme cette belle romance avec une Italienne qui sut apaiser ses angoisses morbides. L’occasion de changer de statut se présente enfin à lui dans l’opportunité de décrocher un poste dans les relations publiques. Le récit met alors en parallèle l’ascension annoncée de Gregory Peck et le dur réveil de son patron Fredric March, self made man qui a tout sacrifié pour réussir mais qui avec l’âge comprend combien il a pu délaisser sa famille désormais disloquée. On a une vision assez glaciale de la course à la réussite en cours à l’époque, que ce soit au niveau domestique avec les attentes d’une Jennifer Jones aux ambitions pressantes ou dans l’entreprise où la franchise n’a plus cours et s’est substituée aux obséquiosités et hypocrisies diverses pour se faire bien voir.

Gregory Peck est comme souvent parfait en type normal poussé malgré lui à un destin qu’il ne convoite pas, le reflet de son futur renvoyé par Fredric March étant là pour le confirmer. Ce dernier, en vieil homme perdant pied, est formidable, dégageant à la fois autorité et fragilité avec ce personnage inspiré par Roy Larsen, patron de Sloan Wilson à Time Inc. Jennifer Jones apporte une vraie sensibilité à un personnage qui aurait facilement pu paraître détestable et hormis un de ses légendaires accès de furies (le temps d’une scène, celle de la découverte de l’enfant illégitime et de l’infidélité de son époux), elle offre une interprétation nuancée et sobre pour ses retrouvailles avec Peck après le mythique Duel au soleil (1946). Le film est donc plutôt visionnaire dans son illustration des nouveaux maux affectant la cellule familiale (dont la tout puissante télévision hypnotisant les enfants qui n’échangent plus avec leur parents) et les efforts consentis par les acteurs déshumanisés de ce capitalisme qui empiète sur leur vie.

L’interprétation et la toile de fond sont passionnantes, la forme un peu moins. Les flashes-back sont très réussis – notamment ceux plus guerriers, Johnson est le futur scénariste des Douze Salopards (1967) ou du Renard du désert (1951) auparavant – mais ce sont vraiment les acteurs (et aussi le très bon score de Bernard Herrmann) et le script qui distinguent les moments intenses plutôt que la mise en scène transparente de Johnson. Néanmoins, cette retenue n’est formidable que par instants, notamment lorsque Peck vaque sans un mot à ses occupations après avoir été verbalement rabaissé par son épouse. On se serait passé aussi de la sous-intrigue poussive sur l’héritage qui rallonge un film démesurément long (2h30 quand même) mais réellement digne d’intérêt. Une sorte d’ancêtre de la série Mad Men.

Titre original : The Man in the Gray Flannel Suit

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Durée : 153 mn


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