L’intrigue est d’une simplicité qui confine à l’abstraction, d’autant qu’elle prend place dans les contrées désertiques du nord de l’Espagne, nous plongeant dans une ambiance qui doit beaucoup à Délivrance et Hitcher, deux références que le réalisateur, Gonzalo Lopez-Gallego, ne renie aucunement. On suit le périple de Quim, un jeune homme sortant manifestement d’une douloureuse relation amoureuse, et qui se perd en voulant suivre une inconnue qu’il vient de rencontrer dans une station service (et qu’il a accessoirement prise sur le lavabo des toilettes…). Le citadin finit fatalement par être pris pour cible par de mystérieux autochtones qui immobilisent sa voiture, et lui tirent dessus sans sommation. Blessé, Quim retrouve la fille, et tous deux se mettent à fuir au son des balles, qui souvent, ne ratent pas leur cibles…
Mettre en images ce script à la mécanique très précise, qui se disloque précisément au moment où la vérité est faite sur l’identité des chasseurs, nécessitait un véritable talent visuel, tant les rebondissements reposent sur l’action et non sur les dialogues. Comme les randonneurs de Délivrance, ou le jeune innocent de Hitcher, Quim est une victime qui suscite l’empathie par ses soucis de cœur très terre-à-terre, et son instinct basique de quidam extrait de force de sa bulle de confort (la voiture), et de communication (le téléphone portable). Ni vraiment courageux, comme il le prouvera à plusieurs reprises, ni vraiment combatif, Quim n’est jamais antipathique, car il attire sur lui une sauvagerie qui ne dit pas son nom, et qui révolte par son côté arbitraire.
Zones d’ombre et first person shooter
On pourrait parler de lapalissade, mais la manière dont Gallego parvient à faire naître ces sentiments avec un simple décor de montagne isolée force le respect. La relation ambiguë entre le héros et la fille (victime ou complice ?), donne de l’allant à la traque, qui rebondit d’un drame à l’autre sans jamais ralentir le tempo. Les Proies témoigne d’ailleurs d’une efficacité toute américaine, qui se retrouve dans un grand nombre des productions ibériques récentes. Le cinéaste cite l’influence, évidente, des jeux vidéo, qui ont pour nécessité, justement, de conserver un rythme et d’attribuer des paliers de "révélations" au joueur pour atteindre leur but. Dans une certaine mesure, et sans trop vouloir en révéler, le médium est partie prenante de la morale des Proies, qui joue sur son côté ludique de chasse à l’homme en milieu hostile, pour retourner la position du spectateur comme une crêpe à mi-parcours, sans pour autant lui enfoncer à coups de marteau son message dans le crâne. Ainsi, plusieurs questions resteront sans réponse sitôt le rideau refermé sur ce cauchemar rupestre, à dessein : en plus de pointer du doigt les travers modernes (mais tellement primitifs en même temps) d’une techno-société, où l’humanite cohabite finalement sans se comprendre et se connaître, Les Proies prend le risque de ne pas totalement justifier ses parti-pris, qui ont d’ores et déjà laissé dubitatifs certains spectateurs.
Et pourtant… Cette manière subtile, de traiter avec un premier degré révélateur (les scènes en vue subjective qui singent les FPS sont un aveu en soi de cette volonté) un récit qui accumule les plaisirs basiques du film de genre (effroi, mystère, ambiguïté morale, violence frontale) donne, comme L’orphelinat, toute sa puissance à ce Rey de la montana inattendu, certes modeste dans ses ambitions, mais remarquable dans son exécution.