Cette histoire est vraie, comme toutes celles que Miguel Gomes a demandé de rapporter, sur plus d’un an, à une équipe de journalistes et reporters dépêchés aux quatre coins du pays. Tâche ardue qui n’offrait pas la possibilité d’un réel scénario : s’il y avait bien une structure, celle des contes racontés par Shéhérazade au “roi bienheureux”, il fallait encore sélectionner les récits à raconter. Dans ce premier volume, un exterminateur de guêpes croise des jeunes vierges de Bagdad ; les membres de la troïka sont des “hommes qui bandent” et se déplacent à dos de chameau ; un coq est jugé pour chanter trop fort la nuit ; un trio d’adolescents s’aime à coup d’incendies criminels ; et trois chômeurs, que Gomes qualifie de “magnifiques”, évoquent leur parcours avant de s’offrir un bain de mer glacée à l’occasion de la nouvelle année. L’ensemble est extrêmement foisonnant, et il fallait effectivement une certaine folie pour se lancer à l’assaut d’un projet si ambitieux, qui croit aussi fort à l’urgence du réel – à quoi rêvent encore les Portugais ? – qu’à la fiction la plus débridée, dans un mélange des genres dont on ne voit pas d’équivalent dans le cinéma contemporain, où une séquence de manifestation filmée depuis le coeur de la foule cède le pas à l’explosion, en plan large, d’une baleine bleue.
`

Moins directement séduisant peut-être que Tabou (2012), le précédent film de Gomes, ce premier volume des Mille et une nuits est moins lyrique, plus frappé du sceau de l’incertitude : le cinéaste le dit d’ailleurs au début, “on ne fait plus du cinéma au Portugal comme on le faisait avant la crise”. Il y a pour lui, aujourd’hui, un certain malaise à faire quelque chose d’aussi “trivial” alors que les chômeurs s’inscrivent par centaines aux banques d’aide alimentaire. L’Inquiet n’est pourtant pas le moins du monde militant : s’il place les histoires des Portugais au centre, ce n’est pas pour en faire un état des lieux misérabilistes (ainsi, le film est à peu près l’exact opposé de La Loi du Marché (Stéphane Brizé, 2015) mais bien pour tenter de leur redonner une capacité d’enchantement. Gomes affiche, comme c’est le cas depuis son premier film La gueule que tu mérites (2004), une croyance infinie en le cinéma, et ce premier volume est bien mieux qu’un film d’installation : il est la promesse d’un film-monde, qui pourrait prendre toute une vie à raconter des histoires qu’on ne s’en lasserait pas.