Les Hommes préfèrent les blondes (Gentlemen Prefers Blondes, 1953)

Article écrit par

Lorelei Lee. Sans doute son rôle le plus célèbre ; celui aussi qui la fit rentrer définitivement dans les bonnes grâces d´Hollywood. Avec « Les Hommes préfèrent les blondes », Marilyn Monroe devient, grâce à Howard Hawks, une actrice, une vraie.

À l’origine, il y a un « non ». Le « non » que Marilyn Monroe opposa d’abord à la Fox à la lecture du scénario du film de Howard Hawks, clamant qu’elle ne savait « ni chanter ni danser ». Une comédie musicale, en cette année 1953 morose d’un point de vue personnel (elle se serait récemment faite avorter), non vraiment, sans façon. C’est pourtant pile à ce moment-là que Marilyn décolle, et qu’un numéro de claquettes serait le bienvenu. Car, adoubée quelques mois auparavant par une frange de la critique pour son rôle sexy-vénéneux dans le Niagara (1953) de Henry Hathaway, elle commence à être reconnue pour ce qu’elle est – une actrice – et les studios parient qu’il y aurait fort à gagner d’un musical mettant en scène la blonde plantureuse. Après de longues semaines de pourparlers avec la Fox et la quasiassurance de booster sa carrière (un film sous la direction de Howard Hawks et avec Jane Russell, tout de même), elle accepte. Les Hommes préfèrent les blondes se hisse au sommet du box office et devient rapidement l’un des plus grands succès de la star.
Le film, tout le monde le connaît. Dorothy Shaw (Jane Russell) et Lorelei Lee (Marilyn, donc), deux amies chanteuses de cabaret, entreprennent une grande croisière sur l’Atlantique pour rejoindre Paris, aux frais de Gus, le futur mari de Lorelei. Filées par un détective privé engagé par Gus, Dorothy et Lorelei vont faire tourner la tête des hommes le temps d’une traversée riche en rebondissements. Mais quelque quarante ans plus tard, ce qui reste du film, c’est surtout l’incroyable aisance avec laquelle Marilyn use des ressorts comiques et dramatiques pour installer son statut d’actrice blonde qui compte.
« Je peux être intelligente quand il faut, mais la plupart des hommes n’aiment pas ça. »

Cette savoureuse réplique viendrait directement de la bouche de Marilyn Monroe, qui l’aurait soufflée au scénariste de Les Hommes préfèrent les blondes, Charles Lederer. Il y a certes une part de légende autour du bon mot, mais la phrase détient certainement ce qu’il faut de vérité à la lumière des Fragments parus en 2010. Ce personnage de blonde crucruche, Marilyn en joue tout au long du film, l’opposant à merveille à celui de Jane Russell, la brune flamboyante et plus intéressée par les corps huilés des athlètes olympiques présents à bord du paquebot que par l’or de richissimes magnats du pétrole. Marilyn/Lorelei, elle, préfère, les diamants. Et alors ? C’est l’une des grandes forces du film que d’oser affirmer (de manière presque amorale) la prévalence de l’argent sur celle de l’amour. Car, comme le relève fort justement son personnage, reste-t-il de la place pour l’amour lorsqu’il y a à s’inquiéter perpétuellement du manque d’argent ?

Pas si idiote, la blonde platine. Les studios voient en elle le symbole de la poule écervelée ? Peu importe : Marilyn en joue et en surjoue, face caméra et en dehors des plateaux (ses caprices sur le tournage ont failli avoir raison du film). On lui dit qu’elle n’est pas la star du film, elle rétorque "But I’m still the blonde". Il fallait cette conscience de son attrait physique pour accepter camper une Lorelei à 1500 dollars par semaine, alors que sa partenaire Jane Russell obtiendrait un cachet de plus de 100 000 dollars. Sans doute le prix à payer pour faire valoir son statut d’artiste. Car Marilyn la blonde veut être parfaite, faille-t-il reprendre jusqu’à plus soif la fameuse scène de Diamonds are a girl’s best friend, ou se laisser aller à la panique des heures durant dans sa loge, soudain sûre de n’être pas à la hauteur. La romancière américaine Joyce Carol Oates, dans son roman-fleuve Blonde (2000), sublime biographie rêvée de Marilyn, décrit avec minutie le perfectionnisme et les craintes de la star : « Quarante minutes qu’elle était assise là, parfaitement coiffée, parfaitement maquillée, les yeux fixes dans sa superbe robe en soie d’un rose ardent, gantée jusqu’aux coudes, le haut de ses remarquables seins dénudé, et des bijoux fantaisie scintillants vissés à ses oreilles et autour de son cou ravissant. Et sa bouche-con, une perfection. Temps d’interpréter Diamonds are a girl’s best friend. »


 

  

« Mais la blonde, c’est moi. »

Et elle l’interprétera, Diamonds are a girl’s best friend, après l’avoir répétée toute la nuit avec Jack Cole, tournée onze fois et enregistrée directement avec orchestre à sa propre demande. Même que la chanson deviendra la plus célèbre du film. Et même que la scène sera celle choisie par les télés du monde entier pour rendre hommage à Marilyn le jour de sa mort, le 3 août 1962.

Cette force de caractère se retrouve dans les personnages de Les Hommes préfèrent les blondes qui, sous des couverts de comédie musicale légère, prend peu à peu (à dessein ?) des teintes de gentil pamphlet féministe. Car ici, ce sont les femmes, brunes ou blondes, qui tirent les ficelles. Les hommes, sans cesse ridiculisés, sont relégués à leur simple statut de mâle sexué, et remplissent des fonctions primaires : athlétiques, à baiser ; riches, à dépouiller. Dorothy recherche la beauté plastique pour un plaisir immédiat ; quant à Lorelei, peu importe l’homme, pourvu qu’il soit bien né. Une manière peut-être de « dénoncer » le machisme ambiant de l’époque, dans des scènes qui tranchent audacieusement avec les trames scénaristiques d’autres films sur le même thème. Il était déjà surprenant de voir Howard Hawks aux manettes d’un musical (le seul de sa filmographie), plus habitué qu’il était aux films « virils » tels que Scarface (1932)Le Grand sommeil (1946) ou Rio Bravo (1959) ; on le voyait mal céder aux sirènes hollywoodiennes du pur film d’entertainment. Pourtant, Les Hommes préfèrent les blondes faillit avoir raison de sa patience. Interrogé par les studios sur la manière d’accélérer le tournage du film, ralenti par le perfectionnisme capricieux d’une de ses actrices principales, il répondit : « Trois merveilleuses idées : remplacer Marilyn Monroe, réécrire le scénario et changer de réalisateur. » On sait aujourd’hui que ses recommandations ne furent pas prises à la lettre, et que Marilyn et Hawks remplirent leurs fonctions jusqu’au bout.

Alors que la Cinémathèque française jugeait opportun, à raison, d’interroger dans une exposition le rapport brune/blonde au cinéma, le film de Hawks agit comme véritable révélateur d’une scission entre les deux personnages, fusse-t-elle uniquement capillaire. Aujourd’hui, force est de constater que c’est de Marilyn dont on se souvient. Marilyn dans ses longues robes-fourreau de sequin rouge chantant Two little girls from Little Rock", Marilyn battant des cils à n’en plus finir, Marilyn s’extasiant d’un diadème qui irait si bien dans sa crinière dorée.

Titre original : Gentlemen Prefer Blondes

Réalisateur :

Acteurs : , , , ,

Année :

Genre :

Durée : 91 mn


Partager:

Twitter Facebook

Lire aussi

Darling Chérie de John Schlesinger : le Londres branché des années 60

Darling Chérie de John Schlesinger : le Londres branché des années 60

Autopsie grinçante de la « dolce vita » d’une top-modèle asséchée par ses relations avec des hommes influents, Darling chérie est une oeuvre générationnelle qui interroge sur les choix d’émancipation laissés à une gente féminine dans la dépendance d’une société sexiste. Au coeur du Londres branché des années 60, son ascension fulgurante, facilitée par un carriérisme décomplexé, va précipiter sa désespérance morale. Par la stylisation d’un microcosme superficiel, John Schlesinger brosse la satire sociale d’une époque effervescente en prélude au Blow-up d’Antonioni qui sortira l’année suivante en 1966.

La soif du mal : reconstruction d’un « pulp thriller » à la noirceur terminale

La soif du mal : reconstruction d’un « pulp thriller » à la noirceur terminale

En 1958, alors dans la phase de postproduction de son film et sous la pression des studios Universal qualifiant l’oeuvre de « provocatrice », Orson Welles, assiste, impuissant, à la refonte de sa mise en scène de La soif du mal. La puissance suggestive de ce qui constituera son « chant du cygne hollywoodien » a scellé définitivement son sort dans un bannissement virtuel. A sa sortie, les critiques n’ont pas su voir à quel point le cinéaste était visionnaire et en avance sur son temps. Ils jugent la mise en scène inaboutie et peu substantielle. En 1998, soit 40 ans plus tard et 13 ans après la disparition de son metteur en scène mythique, sur ses directives, une version longue sort qui restitue à la noirceur terminale de ce « pulp thriller » toute la démesure shakespearienne voulue par l’auteur. Réévaluation…