Les Fragments d’Antonin

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Cinq prénoms inlassablement répétés, en écho incessant à cinq gestes obsessionnels. Cinq scènes traumatiques de la guerre de 14-18 vécues par Antonin, cet instituteur enrôlé. Luttant contre cette barbarie injuste et injustifiée, il en ressort sans aucune blessure apparente. Mais invisible et indélébile, la sienne est d´autant plus incurable. Les ombres de ces hommes morts […]

Cinq prénoms inlassablement répétés, en écho incessant à cinq gestes obsessionnels. Cinq scènes traumatiques de la guerre de 14-18 vécues par Antonin, cet instituteur enrôlé. Luttant contre cette barbarie injuste et injustifiée, il en ressort sans aucune blessure apparente. Mais invisible et indélébile, la sienne est d´autant plus incurable. Les ombres de ces hommes morts au combat le poursuivent sans répit. Il sombre dans la folie, dévoré par cette culpabilité dévastatrice. Autiste, il n´est plus en mesure de parler afin de raconter ce qu´il a vu, ce qu´il a vécu. En 1919, un médecin militaire, précurseur des traitements des chocs post-traumatiques de guerre, tente de le guérir en le confrontant à ses scènes indicibles. Telle une catharsis, sa méthode novatrice et controversée se risque à lui faire revivre les moments les plus symptomatiques de sa guerre afin de l’en libérer. Par associations d´idées, selon les fragments de souvenirs d´Antonin, la caméra entremêle images d´archives en noir et blanc et reconstitutions fictives.

Loin d´être un énième film de guerre, Les Fragments d´Antonin est un film sur l´envers de la guerre. Familier de cet univers, le cinéaste Gabriel Le Bomin eut accès, durant son service militaire au Cinéma des Armées, à de nombreux documents d’archives. Après plusieurs courts-métrages de fictions (Les Égarés en 1995 ou Le Puits en 2001) et de documentaires (Les Grands brûlés en 1993 ou Rwanda, l’humanité nous appelle en 1994), il signe son premier long métrage de fiction, Les Fragments d’Antonin. Entre fiction et documentaire, le réalisateur analyse les conflits, depuis la guerre de 14-18 jusqu’à la guerre du Golfe : « J´ai travaillé avec les médecins sur les traumatismes en Indochine, en Corée, pendant la Seconde Guerre mondiale autour des camps >>, témoigne-t-il. Bouleversé, il réalise que les stigmates de la guerre ne sont pas seulement corporels. Il filme ces blessures psychiques, indicibles, qui ne peuvent taire leurs maux, pour rompre le silence qui les enveloppe. Son propos est dès lors bien plus subtil que la caricature, souvent incontournable, du film de guerre. Voulant éviter l´écueil du manichéisme planant sur les films du genre, il choisit d´aborder la Première Guerre Mondiale, afin de ne pas stigmatiser dogmatiquement les bons et les méchants.

D´où l´idée d´une mise en scène fragmentée. Les images saccadées, tremblantes, nous font glisser dans la peau – dans le psychisme – d´Antonin. Gregori Derangère, révélé dans La Chambre des officiers de Francois Dupeyron, campe un Antonin à fleur de peau. Un sourcil se fronce, les lèvres desséchées se crispent, le regard vitreux s´évade et déjà on est tout entier happé par l´interprétation de cet homme meurtri par une guerre qui ne l´a pas tuée mais ravagée. Afin d’adopter au mieux la gestuelle propre à certains traumatismes, l´acteur a travaillé quelques séquences avec l’aide de médecins psychiatres et en visionnant de nombreux documents d’époque :  » J’ai dû trembler pendant quinze jours sans prononcer un mot ! J’étais soulagé que cela s’arrête car toute l’équipe commençait à me regarder bizarrement, » avoue-t-il. A travers un jeu confondant de réalisme et de simplicité, il parvient à traduire des émotions violentes et destructrices.

<< Combien de temps faut-il pour construire un homme ? >> se demande l´instituteur, lui qui structure les têtes bien pensantes. << Et combien pour le détruire ? >> s´interroge-t-il, impuissant, pris au piège de cette guerre sans nom ni raison. Par cette dialectique de construction / destruction, le réalisateur nous propose une expérience philosophique. Détruire l´être pour le reconstruire autrement. Déconstruire les traumatismes psychiques pour vivre avec. Et si la vérité est étymologiquement l´action de dévoiler, ce film, qui révèle un homme à lui-même, est touchant de vérité. Malgré les contraintes d´un budget réduit, l´ingéniosité visuelle est saisissante. Plongée dans les tranchées au coeur de la guerre, dans la folie de l´après-guerre, Les Fragments d´Antonin est d´autant plus émouvant que cette épopée se teinte d´humanité par la relation sincère qui se créée entre l´instituteur Antonin Verset et l´infirmière Madeleine Oberstein qui, pour une fois, échappe à une mièvre idylle amoureuse.
Seul bémol, la voix off plombe le ressenti de cette douloureuse page de notre Histoire.

Titre original : Les Fragments d'Antonin

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Durée : 90 mn


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