Le Tambour

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« Le Tambour », ressorti en salle dans une nouvelle version restaurée, fut d’abord un roman somme de Günter Grass, publié en 1959. Oscar, son jeune héros-locuteur, y fait revivre son passé à travers sa conscience en perpétuel devenir et le récit à la première personne trouve une nouvelle dimension réaliste dans sa transposition à l’écran. Analogies…

On peut commencer une histoire par son milieu puis, d’une démarche hardie, embrouiller le début et la fin…” Günter Grass à propos de son roman “Le tambour”

Une certaine prédestination de l’Histoire

A l’image de l’Allemagne hégémonique du film, Oscar Matzerath (David Bennent) s’introduit peu à peu dans l’intimité des êtres qui peuplent son microcosme. Sa personnalité démonstrative et disruptive le conduira à séduire Maria Matzerath (Katharina Thalbach) et à précipiter la destinée de ses proches en tambourinant comme un funeste présage. En outre, il compense sa petite stature par une sorte de clairvoyance précoce. On perçoit cette interruption volontaire de croissance d’Oscar comme une réaction défensive de l’organisme à l’appel des événements extérieurs. Dès lors, les épisodes retracés deviennent plus aisément “objectivables” et envisagés selon une perspective temporelle arrêtée.

Par son refus de se conformer aux mutations et autres bouleversements qui détournent le cours de l’Histoire, le
héros, agissant comme un catalyseur au sein du récit, se satisfait de l’état présent des choses à quoi le condamne, en dernier ressort, sa rétraction. Devenus les instantanés du film, les moments du roman ont valeur d’éternité, d’immortalité au sens où ils survivent et vont même jusqu’à revivre sans fin dans la conscience précoce du héros-locuteur; échappant par là à toute fixation chronologique. Libéré de l’emprise du temps sur son être, Oscar se joue aisément des situations grâce au recul distancié qu’autorise sa petite taille.

 

Je commencerai longtemps avant moi..” informe Oscar en guise de préambule. C’est donc un commentaire off
explicatif, une voix intérieure et donc une voix de la conscience; mais aussi un jugement prospectif sur les choses qui “module” et infléchit la version purement narrative des faits. Les aléas de l’Histoire en marche re-vécus à travers le discours parlé d’Oscar se bousculent, se contestent, se nourrissent mutuellement. Volker Schlöndorff recoupe les épisodes par des raccords d’une extrême ténuité donnant adroitement le change à l’autonomie des récits dans la narration. Ce sont la plupart du temps des raccords d’objets ou dans le mouvement -de l’Histoire serait-on en droit de dire- qui déroulent un fil d’Ariane conducteur entre les épisodes épars du roman.

Pour exemple, l’épisode du poisson le jour du vendredi saint, l’intoxication consécutive d’Agnès Matzerath (Angela Winkler), la mère d’Oscar et sa mort remarquable de réalisme achevé, qui sont enchaînés sans transition. Le poisson évoque, par sa nature et sa forme, une association d’idées naturelle. En quelques plans imagés, la mise en scène elliptique brosse le symbole.

Ailleurs, une autre ellipse spatio-temporelle: Oscar met en marche l’appareil de TSF récemment acheté par son
père tutélaire , Matzerath (Mario Adorf). La caméra effectue un lent travelling avant jusqu’à cadrer en très gros plan l’ancien poste à galène. Nous parvient, de proche en proche, la voix éructante d’un tribun nazi. Un second travelling, arrière celui-là, enchaîne sur le précédent. Cette fois seulement, il part de la cavité buccale d’où est produit le discours, celle de l’orateur, jusqu’à cadrer la tribune en plan d’ensemble. La scène prend l’apparence d’actualités d’époque (les années 30 à Berlin) qu’atteste la vision trichrome pour “accommoder” à nouveau, sitôt après, sur la vision polychrome de la même scène de la Tribune, signifiant, dans l’intervalle, la présence d’Oscar sur les lieux. La
scène bouffonne de la parade peut alors commencer.

 

L’arbitrage de la parole agissante

Dans le roman d’apprentissage de Günter Grass, le présent de conjugaison du film, présent temporel, subvertit le temps supposé du roman. Or, ce temps du roman est un temps éternel dans lequel se situe l’action verbale ; un temps qui intéresse l’avenir. Le roman spéculaire de Günter Grass progresse par ruptures de ton, par anticipations et par digressions. Oscar provoque et relance les événements par sa seule (omni-)présence, par son don d’ubiquité en quelque sorte que sa taille lui octroie. Le film extériorise plutôt qu’il n’intériorise la parole agissante. Là où le film montre par intuition, le roman démontre selon la méthode discursive dans un aparté non déguisé avec le lecteur. Oscar se révèle dépositaire de l’“intuition divinatrice” dévolue au héros-narrateur. Il s’ensuit que les réminiscences du roman sont intégrées à l’action directe dans le film sans autre forme de procès. Aux spectateurs que nous
sommes d’être les ordonnateurs de la parole du héros-locuteur.

Le Tambour fait partie intégrante d’un cycle rétrospectif de 5 films essentiels de Volker Schlöndorff que le distributeur Tamasa ressort en salles en versions restaurées 4K.

Titre original : Die Blechtrommel

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