Le Solitaire de Michael Mann

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Le premier film de Michael Mann ressort en salle cette semaine. Plus qu’un galop d’essai, c’est même le meilleur film du réalisateur.

S’il est parvenu à signer de grands films dans des genres très divers, le polar reste le domaine de prédilection de Michael Mann et celui où chaque incursion constitua une étape charnière de sa carrière. Le Solitaire marque ses grands débuts au cinéma (après une première reconnaissance pour son téléfilm Comme un homme libre), Heat est le film de la consécration qui fera changer bien des regards sur lui et le définira pour de bon comme un auteur aux yeux de la critique et Collateral sera l’œuvre de la remise en question esthétique qui marquera les Miami Vice et Public Enemies à suivre. On peut y ajouter la série Miami Vice qu’il produisit, vrai terrain de jeu thématique et esthétique et Manhunter moins définitif mais très réussi néanmoins.

Le Solitaire est pourtant le meilleur de ses polars, idéalement équilibré par rapport à l’hypertrophié Heat et au trop épuré et conceptuel Collateral, ce qui n’enlève rien à leurs immenses qualités. La force de Thief est de définir tous les motifs visuels et thématiques mannien à l’état brut. Heat est certes plus flamboyant et stylisé, Collateral le plus immersif, mais Thief s’avère plus intense et immédiat dans son côté direct, à l’image de son personnage principal. Le héros chez Michael Mann est un personnage obsessionnel, un professionnel acharné qui ne laisse aucune distraction interférer avec ses objectifs. C’est lorsqu’il se laisse gagner par une certaine humanité qu’il signe indirectement sa perte (De Niro perdant un temps précieux dans sa cavale pour sa petite amie dans Heat, Tom Cruise voyant sa détermination légèrement vaciller dans le lien qu’il noue avec Jamie Foxx dans Collateral). Ici c’est James Caan braqueur professionnel et dur à cuire qui ne s’en laisse pas compter. C’est sa grande force, une farouche indépendance acquise dès le plus jeune âge à la dure école de la prison et qui le rend imprévisible s’il est menacé. Pourtant le sort dramatique d’un ami encore détenu (magnifique Willie Nelson) va lui faire comprendre combien son existence est incomplète… On trouve déjà le désir d’ailleurs du héros défini par un objet innocent bien ici, avec le collage de photos fait en prison par Caan représentant sa vie rêvée avec une famille et qui anticipe celle accompagnant Jamie Foxx dans son taxi durant Collateral.


 

Dès les premières minutes la force de l’atmosphère nocturne et urbaine typique de Michael Mann frappe, la ville (Chicago) est un personnage à part entière où les héros doivent apprendre à se mouvoir avec discrétion. Les planques se font dans des box impersonnels, les rendez-vous d’affaires dans des parkings désertiques et les comptes se règlent dans des entrepôts sordides. Toute action au grand jour n’est que manœuvre d’intimidation ou stratégie (Caan allant menacer un sous-fifre, les tentatives de corruptions des flics). La maniaquerie légendaire du réalisateur apparaît dans les méticuleuses scènes de cambriolage, celle ouvrant le film donne le ton mais c’est surtout la seconde à la préparation distillée dans le détail qui frappe, de la marque du coffre aux outils spécifiques fabriqués pour en venir à bout. Recrutant d’ex criminels comme conseillers sur ses plateaux (Edward Bunker himself fut dépêché sur Heat), il ne laisse aucun détail au hasard et ici la présence dans son premier rôle cinéma (en homme de main patibulaire) de l’ex flic Dennis Farina n’est sûrement pas un hasard et il retrouvera Mann dans la série Crime Story.


 

La vraie force de Thief repose néanmoins dans sa puissance émotionnelle. Le couple entre Tuesday Weld et James Caan est vraiment touchant et le rendez-vous galant manqué virant à leurs touchantes confessions respectives sur leurs existences fracassées est un des plus beaux moments du film, petit bijou de séquence intimistes. N’en déplaise aux allergiques de musiques marquées 80’s, le score de Tangerine Dream (qui offriront des scores tout aussi épatants pour La Forteresse Noire) fusionne idéalement avec les tonalités urbaines métalliques de Mann, lardent de riffs de guitares martiaux les pérégrinations des personnages, mais aussi dans l’émotion lorsque des nappes de synthés viennent accompagner le seul moment apaisé du film, le bonheur simple suivant le second braquage. La conclusion est une des plus poignantes de Mann. Sa quête de bonheur l’ayant rendu vulnérable, Caan fait tout voler en éclats dans un terrible renoncement lors d’un dernier échange poignant avec Tuesday Weld. Seule la revanche (formidable Robert Prosky en caïd odieux) peut assouvir cette douleur et c’est sous les tourbillons de guitares épiques de Craig Safian que Mann déploie un de ses gunfights les plus magistraux.


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