L’histoire d’un adolescent autiste et surdoué des maths. Quelques moments de vérité dans un film malgré tout sans génie.
Une brève recherche nous apprend que le cinéma s’est beaucoup consacré à l’autisme (au moins une trentaine de films sans compter les documentaires) dont le dictionnaire nous dit qu’il s’agit "d’un trouble psychique, (du) détachement de la réalité extérieure accompagné de repliement sur soi-même". Mais cet engouement est plutôt récent car cette maladie complexe, ne serait-ce qu’au début des années 80, était très mal connue du corps médical – et donc a fortiori des cinéastes – dont certains des membres pouvaient être alors complétement démunis face aux symptômes.
Aujourd’hui la connaissance qu’ont la science et la médecine de l’autisme s’est améliorée ainsi que la connaissance qu’a l’opinion de la maladie, de ses spécificités mais aussi de la difficulté dans laquelle se trouve l’entourage des malades. Sans doute le cinéma – et singulièrement le cinéma américain – y est-il pour beaucoup. Ne citons que des succès planétaires comme le splendide Rain Man (1988) de Barry Levinson et le désormais grand classique Forrest Gump (1994) de Robert Zemeckis.
Cependant, une question nous taraude : comment se fait-il que la septième art se soit entiché à ce point d’un sujet qui de par sa nature même (l’incommunicabilité, le repli sur soi-même, la conscience isolée, l’apparente absence de sentiments des sujets), semble si peu susceptible a priori d’être filmé, d’être révélé par l’objectif de la caméra ?
En vérité, et à la lumière de la filmographie en la matière, il semble que ce handicap soit un puissant générateur d’émotions.
Avec le Monde de Nathan, le réalisateur anglais Morgan Mattheus, documentariste confirmé, mais dont c’est le premier long-métrage de fiction, ratifie une fois de plus ce paradoxe. Son film raconte l’histoire du jeune Nathan atteint d’un "trouble cognitif neurodéveloppemental" qui facilite, chez lui, la logique mathématique. Autrement dit, Nathan est un surdoué des maths et c’est au fait qu’il est "différent" qu’il doit ses aptitudes hors normes. L’adolescent est tellement fort qu’il est sélectionné pour les Olympiades Internationales de Mathématiques qui se déroulent au sein du Trinity College de la prestigieuse université de Cambridge. Ce qui caractérise le jeune homme, c’est l’isolement psychique, c’est-à-dire qu’il ne semble pas avoir de relations affectives, de sentiments pour autrui. Ainsi Nathan tout entier consacré à résoudre des problèmes (dont les énoncés sont dits par une voix off lors des examens, ce qui ne manque pas d’impressionner) est un bloc froid dénué de sentiment, ce dont il ne se rend pas vraiment compte, mais qui met à rude épreuve les nerfs de son entourage dont le principal pilier est sa mère jouée par Sally Hawkins, incroyablement émouvante.
Puis Nathan va évoluer. D’adolescent insensible, il va progressivement être capable de laisser surgir en lui des émotions, de l’attention pour les autres. Probablement que dans le même temps, nous aussi nous aurons évolué et compris au cours de l’action, et notamment d’un voyage initiatique à Taipei, son isolement, mais aussi que cet enfermement n’est pas non plus une fatalité intégrale. Mais si l’histoire de l’adolescent lui-même peut nous intéresser, ce qui nous touche le plus dans son "monde", ce sont les personnes qui l’entourent et notamment sa mère et M. Humphreys (Rafe Spall), son professeur – impeccable. De ces personnages naît l’émotion, plus que du parcours de Nathan. Ces deux héros du quotidien, figures sacrificielles s’il en est, dévouées tout entières au prodige, forcément incomprises et blessées par cet enfant "différent" mais que jamais ils ne cessent de couver du regard, de protéger, lui insufflant leur amour, sont le véritable intérêt du film. Le réalisme vient bien de ces deux personnages symbolisant certainement la situation de nombreux parents confrontés à la difficulté d’un enfant autiste dans la vraie vie.
Pour ce qui concerne le sujet central du Monde de Nathan, c’est-à-dire l’éclosion des sentiments (dont l’amour) chez un être touché par l’autisme, nous pouvons dire que le film est moins convaincant. Pourtant, et contre toute attente, il existe indubitablement au cinéma, avec ce thème, un ressort dramatique très efficace, qu’ont déjà su très bien utiliser scénaristes et réalisateurs. Il semble que les personnages autistes – tel Raymond Babitt dans Rain Man – hyper-doués dans un domaine particulier, fascinent le public, qui sort, du coup, pour un moment, des bornes de ses limites habituelles. Ce fut le cas pour Rain Man, probablement le film le plus puissant sur l’autisme, au terme duquel deux frères que tout oppose vont réussir à se comprendre et à s’aimer en dépit de la maladie de l’un d’eux. LeMonde de Nathan, lui, ne parvient pas à susciter l’émotion dégagée par le film de Barry Levinson, au moins quant au personnage principal. Pourtant, la volonté de faire évoluer un "être à part", depuis l’enfermement jusqu’à l’ouverture à autrui, est la même. Mais là, ça ne marche pas vraiment. Probablement que l’interprétation magistrale de Dustin Hoffman dans Rain Man rend toute comparaison vaine…
En définitive, si le cinéma a pris à bras le corps ce thème délicat – souvent pour le meilleur -, il ne sera jamais en mesure, loin de là, de dévoiler toute la réalité de la maladie, parce qu’il ne s’intéresse généralement qu’à des cas spectaculaires de personnes atteintes du syndrome d’Asperger ou d’autistes "savants" qui ne forment qu’une petite proportion des autistes, au risque de nous faire oublier – la complexité de ce trouble psychique étant telle – qu’il n’y a jamais deux personnes atteintes de ce mal qui soient semblables.