Le Messager

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Il faut courir revoir “Le Messager” qui retrace somptueusement la trajectoire initiatique du jeune Leo Colston tiraillé dans l’Angleterre victorienne et sa perte d’innocence par l’apprentissage prématuré des interdits de l’âge adulte. En version restaurée 4K.

Même les fleurs sont créées par l’accouplement du soleil et de la terre.” extrait de “l’amant de Lady Chatterley” de D.H.Lawrence

L’échec cuisant de l’amour sur les préjugés sociaux

Fidèle adaptation du roman éponyme de L.P Hartley, Le Messager jette un regard rétrospectif sur un passé solaire empreint de nostalgie et de mélancolie. Tandis que le présent du narrateur-locuteur est terne et elliptique, le passé du roman et son évocation exercent une influence indélébile sur ce même présent. C’est ce passé rompu qui va conditionner la vie entière du narrateur parvenu à un âge adulte avancé. Joseph Losey et Harold Pinter jouent de ces
oppositions. La perte d’innocence de Léo Colston par l’apprentissage prématuré de la vie adulte souligne l’expérience moderne du temps brisé dans son élan : un paradoxe qui prive le héros-narrateur de son présent et l’aliène de son passé dans un divorce irréconciliable.

Le Messager est la brillante transcription d’une enfance naturellement ingénue, une méditation subtile sur la mémoire et, dans le même temps, une critique incisive de la “ petite noblesse terrienne” britannique et ses institutions rigides qui ont façonné son système de classes archaïque.

Le décor pastoral est planté : la gentilhommière de campagne, l’église officielle anglicane, le terrain de cricket, le village pittoresque de Norwich dans le comté de Norfolk. Le jeune Léo Colston, d’une docilité d’esprit désarmante, fait son apprentissage de la vie au contact de ces hobereaux condescendants, regroupés dans une appartenance de caste et ceux-ci renforcent son sentiment d’être un corps étranger. Joseph Losey explore en surface cette aristocratie indolente lézardant sous un soleil de plomb dans le confortement de l’application des codes de leur caste.

Celui par qui le scandale arrive…

Pressant sa fille, Marian Maudsley (Julie Christie) d’épouser le “collet monté »Hugh Trimingham (Edward Fox), héros balafré de la guerre des Boers afin d’accroître le prestige quelque peu terni de la lignée familiale alors qu’elle est, à l’évidence, davantage intriguée par la masculinité fruste de Ted Burgess (Alan Bates), le métayer, Mrs Maudsley, la
matriarche de la lignée des Maudsley, est une source intarissable d’anxiété et de tension, une matrone autoritaire qui dégage une aura d’agitation autour d’elle. Margaret Leighton lui confère un maintien impérieux et une furie vindicative qui lui vaudront un prix d’interprétation à Cannes tandis que le film rafle la palme d’or à Mort à Venise de Luchino Visconti. A l’instar du Casanova, un adolescent à Venise sorti un an plus tôt, c’est la reconstitution minutieuse d’une caste qui se fissure que Joseph Losey donne à voir dans cette fresque richement enluminée.

 

 

Un candide voltairien projeté dans un cercle d’intrigues et de marivaudages

Point minuscule dans la magnificence des échappées champêtres du terroir de Norfolk qui déroulent leur moutonnement, Léo se mesure à l’immensité alors qu’il chemine avec insouciance pour délivrer son courrier du cœur, rouge de confusion, comme s’ il était pris en flagrant délit d’école buissonnière.

Le compositeur Michel Legrand a conçu un leitmotiv musical à la fois lancinant et inquiétant qui laisse planer une issue fatale paradoxalement dans une atmosphère bucolique de lecture et de badinage. Il faut tout un cheminement non-conformiste hors des sentiers battus pour troubler cette surface étale et indolente qu’éternise un été exceptionnel sous ces latitudes. A travers les observations qu’il se fait du monde des adultes, Léo suit le même apprentissage de la vie que le Candide de Voltaire. Sa pureté d’âme révèle autour de lui leurs turpitudes. Issu d’une
classe moyenne, Léo est nié pour toute appartenance sociale et se confond dans un anonymat commode qui lui permet de souligner les distinctions de classe jusqu’aux limites de terrain d’une partie de cricket qui voit s’affronter la nature rustaude contre la finesse cultivée. Ce sport indolent s’il en est à en juger par les bâillements qu’il arrache et les abeilles à chasser, est aussi un fort marqueur social en ce qu’il permet à la roture de prendre l’ascendant sur la noblesse comme on assiste dans le film.

Léo est le témoin involontaire de l’effritement de cette haute société aristocratique figée dans l’apparat. La frustration et les inhibitions sexuelles du couple adultérin formé par Marian Maudsley et Ted Burgess finissent par trouver un bouc émissaire en la personne émotive de cet outsider aux yeux grand ouverts sur la réalité.

Le jeune acteur Dominic Guard (Léo Colston) porte à lui seul le regard du film ; toujours à froncer les sourcils devant les frasques des adultes qu’il est pourtant avide de comprendre. Désabusé par l’âge adulte, il le perçoit comme moins inspirant qu’il se l’imaginait. En anglais, “greenness” caractérise l’inexpérience et la naïveté et c’est la couleur verte dont le choix n’a rien de fortuit qui affecte les vêtements dont cette famille à cheval sur l’étiquette nobiliaire l’affuble. Le caméléon vert se fond et évolue à son aise dans les aspérités du paysage bienveillant. Losey le filme dans de magnifiques plans ascendants admirablement enchâssés qui rappellent en substance ceux de Deux hommes en fuite (Figures in a landscape-1970), son film précédent. Les adultes de cette caste tirent profit de la susceptibilité et de la bonne volonté complaisante de Leo. Ce dernier va jusqu’à exprimer une inclination pour ne pas mentionner sa fascination pubère pour l’amour physique. Il devient alors le jouet involontaire de leurs marivaudages.

A l’épilogue du film et par le truchement de flash-forwards elliptiques, nous apprenons que Leo ne s’est jamais marié suite au traumatisme qu’il a contracté et, par inférence, n’a jamais eu la moindre relation d’aucune sorte avec la gente féminine. La candeur et l’innocence enfantines ont été annihilées par ce traumatisme du camouflet de la relation adultérine entre Ted et Marian révélée au grand jour. Les scènes intrusives de Léo vieillissant (Michael Redgrave) sont dérangeantes et disruptives à la fois par leur brièveté énonciatrice. Le reproche qu’on peut faire à postériori est leur manque de lisibilité.

Eu égard au système rigide de caste en vigueur dans l’Angleterre de 1900, difficile d’imaginer un seul instant qu’un roturier puisse convoler en justes noces avec une aristocrate bon teint. Davantage intriguée par la masculinité fruste de Ted Burgess, Marian Maudsley se détourne des conventions sociales de l’époque. Au contraire de L’amant de lady Chatterley de D.H. Lawrence ou le garde-chasse remplace le métayer, l’on assiste à l’échec de l’amour sur les préjugés sociaux. Le va-et-vient de Marian et son inconstance amoureuse ne semblent guère ébranler pour autant le snobisme satisfait et les convictions arrêtées de la famille Maudsley comme figée dans ses certitudes de classe pour l’éternité.

Le Messager est distribué en salles dans sa version restaurée 4K par les Acacias.

Titre original : The go-between

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