Le Cid (El Cid)

Article écrit par

1961. Le Cid d’Anthony Mann sort sur les écrans du monde. Fresque gigantesque de trois heures, cette superproduction foisonnante d’une beauté picturale incroyable est une adaptation fidèle des aventures du Cid, célèbre héros de l’Espagne médiévale. D’un scénario tiré de la chanson de geste el Cantar de mio Cid composée en 1128, Anthony Mann construit […]

1961. Le Cid d’Anthony Mann sort sur les écrans du monde. Fresque gigantesque de trois heures, cette superproduction foisonnante d’une beauté picturale incroyable est une adaptation fidèle des aventures du Cid, célèbre héros de l’Espagne médiévale. D’un scénario tiré de la chanson de geste el Cantar de mio Cid composée en 1128, Anthony Mann construit avec brio le mythe qui prend forme. Tout en développant les thèmes récurrents du cinéma « mannien » (tolérance, conception de l’homme, déterminisme dans l’action…) dans un contexte historique précis (invasion des Arabes en Espagne au 12ème siècle), Le Cid devient une oeuvre tragique qui place le code d’honneur de la chevalerie au cœur de l’action.

En restituant le code d’honneur de la chevalerie par l’intermédiaire d’un héros, Mann réalise un film épique dont les nombreux rebondissements sont éminemment liés aux faits et gestes des personnages. Œuvre cinématographique assez simple en apparence, la mise en scène révèle un aspect formel complexe, qui suit précisément les choix d’action et de réaction des protagonistes tout en exposant clairement la situation des différentes intrigues.

Si chaque personnage est défini dans un rapport transversal qui prend en compte la fonction, les intérêts et les actions, le Cid se retrouve isolé car il se détermine exclusivement à partir d’un code d’honneur. Il place l’essence de la chevalerie au-dessus de ses propres sentiments et ne peut alors se ranger derrière de vils calculs d’intérêts. Il agit donc en homme juste. En faisant cela, il se met à dos presque tout le monde. Il perd pour un temps sa tendre Chimène, supporte à tour de rôle les deux fils dans leur succession au trône, se retrouve banni par le roi, rallie certains chefs arabes et refuse la couronne. Anthony Mann nous brosse le portrait d’un homme qui ne choisit pas son camp, car il place l’Espagne et la justice au-dessus des hommes. Sa posture inflexible en fait un parfait héros tragique, surtout dans une période trouble dominée par les guerres et les luttes de pouvoir. Si Mann s’en amuse parfois, il érige dans un final un peu trop grandiloquent le héros en symbole.

A côté de cette figure inatteignable se dressent des intrigues de pouvoir qui se rapprochent de la dramaturgie shakespearienne. Tout est réuni. La tromperie, la fourberie, la lâcheté, les calculs, mais aussi le courage et l’amour véritable. Par ces trames secondaires qui ressemblent à une série d’épisodes plus ou moins dramatiques, Anthony Mann alimente la stature du Cid. Fidèle à ses convictions, le Cid apparaît au spectateur comme quelqu’un qui s’efface pour mieux servir. Il a le courage de son intégrité.

Long métrage sur la tolérance (leitmotiv de Mann depuis ses débuts), Le Cid est bien l’actualisation cinématographique d’un homme faisant jonction entre deux civilisations, deux cultures et deux religions. Il montre également qu’on ne peut imposer par la force sa vision du monde (il reprendra ce thème dans La Chute de l’empire romain). Sous les traits d’un Charlton Heston parfait en chevalier de la droiture, Anthony Mann élabore une superproduction intelligente qui, 45 ans plus tard, apparaît comme un divertissement d’une incroyable modernité.

Titre original : El Cid

Réalisateur :

Acteurs : , , , , , , , ,

Année :

Genre :

Durée : 183 mn


Partager:

Twitter Facebook

Lire aussi

L’étrange obsession: l’emprise du désir inassouvi

L’étrange obsession: l’emprise du désir inassouvi

« L’étrange obsession » autopsie sans concessions et de manière incisive, comme au scalpel ,la vanité et le narcissisme à travers l’obsession sexuelle et la quête vaine de jouvence éternelle d’un homme vieillissant, impuissant à satisfaire sa jeune épouse. En adaptant librement l’écrivain licencieux Junichiro Tanizaki, Kon Ichikawa signe une nouvelle « écranisation » littéraire dans un cinémascope aux tons de pastel qui navigue ingénieusement entre comédie noire provocatrice, farce macabre et thriller psychologique hitchcockien. Analyse quasi freudienne d’un cas de dépendance morbide à la sensualité..

Les derniers jours de Mussolini: un baroud du déshonneur

Les derniers jours de Mussolini: un baroud du déshonneur

« Les derniers jours de Mussolini » adopte la forme d’un docudrame ou docufiction pour, semble-t-il, mieux appréhender un imbroglio et une conjonction de faits complexes à élucider au gré de thèses contradictoires encore âprement discutées par l’exégèse historique et les historiographes. Dans quelles circonstances Benito Mussolini a-t-il été capturé pour être ensuite exécuté sommairement avec sa maîtresse Clara Petacci avant que leurs dépouilles mortelles et celles de dignitaires fascistes ne soient exhibées à la vindicte populaire et mutilées en place publique ? Le film-enquête suit pas à pas la traque inexorable d’un tyran déchu, lâché par ses anciens affidés, refusant la reddition sans conditions et acculé à une fuite en avant pathétique autant que désespérée. Rembobinage…