Le choix de Luna

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Dans une Sarajevo un peu apaisée mais mondialisée, un couple se cherche et finit par se déchirer. Comme une métaphore de l’ex-Yougoslavie que la récente guerre a marquée à jamais.

À une époque où, paraît-il, les gens sont de plus en plus nombreux à avoir peur des religions radicales, ce film tombe à pic, éclaircissant le récent conflit interethnique qui avait ravagé l’ex-Yougoslavie. Jasmila Zbanic, réalisatrice du remarqué Sarajevo, mon amour (2006), revient ici dans sa ville natale pour nous conter l’histoire d’un couple qui, comme tant d’autres, se déchire pour des raisons religieuses et éthiques. Luna, hôtesse de l’air sarajevienne, et Amar, contrôleur aérien, vivent entre ciel et terre, toujours entre deux mondes, entre deux départs pour elle, et deux verres pour lui.

C’est dire si son alcoolisme ne pourra que lui être fatal, surtout dans le métier qu’il exerce, son renvoi le plaçant alors dans une situation d’extrême fragilité. Jusque là, ce pourrait être un « petit film » à la Nicole Garcia, mais dans le contexte bosniaque, cette histoire de couple se peint d’autres couleurs. Au cours d’une séquence intense, Luna et Amar rencontrent un couple converti au wahhabisme. La scène est étonnamment bien filmée, avec une grande simplicité convenant tout à fait au propos de la réalisatrice. Amar est un ancien camarade d’armée de l’homme qui, dès le début, refuse de serrer la main de Luna. Celle-ci, dans le plan suivant, découvre dans leur voiture, à la place passager, une femme portant le voile noir. Étonnée, elle ne dit rien et le film, tout en finesse, pénètre, avec seulement deux images fortes, dans le drame de cette Bosnie-Herzégovine encore blessée par la guerre, entrée de force dans la mondialisation, partagée entre communautés religieuses rivales l’ayant laissée exsangue.

Ici encore, on pourrait se poser la question d’Aragon : « Est-ce ainsi que les hommes vivent ? » Car Jasmila Zbanic ne donne raison à personne, ne prend pas vraiment parti, montrant deux couples complètement différents : l’un branché, hypermoderne et qui travaille dans les médias et les boîtes de nuit à la mode ; l’autre qui doute et se déchire sur fond de vision différente de la vie. Entre Amar, qui retrouve du travail grâce aux wahhabites et vit en partie dans une communauté en laquelle Luna ne se retrouve pas et la ville de Sarajevo, dont les habitants sont plutôt enclins à la tempérance et à la modération, comme le prouve la scène de la fête dans la famille de Luna. C’est entre ces deux mondes que doit se positionner Luna, d’où le titre du film, qui pose vraiment une question fondamentale à la Jean-Paul Sartre : doit-elle s’engager dans la religion par amour pour son mari, même si elle juge qu’il va trop loin, ou conserver sa liberté au détriment de sa vie de couple ? On pourrait dire qu’il s’agit ici d’un dilemme cornélien, partagée qu’elle semble entre le devoir et l’amour.

Luna choisira en fait, dès le début, le mode de vie moderne, tout en sachant bien qu’il ne s’agit pas non plus d’une panacée. Mais entre une religion qui asservit les femmes, ou du moins les tient à l’écart, et un monde soi-disant moderne qui n’a de liberté qu’artificielle, Luna tangue un peu quelquefois, comme un bateau ivre et, si elle refuse l’islam, c’est pour accepter le désir et l’amour. Jasmila Zbanic aime tous ses personnages et est la seule à pouvoir expliquer le comportement de Luna et le choix qui en résulte : « Luna a des préjugés, mais elle essaie de comprendre. Elle essaie de les mettre de côté parce qu’elle voit que la présence d’Amar dans la communauté wahhabite lui fait du bien. Par contre, elle a l’impression que son mari est sous l’emprise de quelqu’un d’autre, quelque chose qui ne lui appartient pas, et là, elle a du mal à comprendre et à accepter. » S’aperçoit-elle en fin de compte que deux êtres qui vivent ensemble ne se rencontrent jamais et que chacun est un étranger pour l’autre ? Que chacun doit suivre sa voie, dans la solitude et une quasi indifférence, jusqu’à la mort ?

Titre original : Na Putu

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Durée : 90 mn


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