Le Cahier (Buddha collapsed out of shame)

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Ces enfants-là sont doublement victimes : de la guerre et de la mort distillée dans leur vie de tous les jours dans des conditions plus que difficiles…

Les sœurs Makhmalbaf sont surprenantes. Après Samira, voici venu le tour d’Hana qui, à seulement 18 ans, nous livre ici un film d’une maturité et d’une poésie exceptionnelles, comme un écho au Tableau noir de sa sœur en 2000. Avec un titre anglais, Buddha collapsed out of shame, beaucoup plus explicite que le pourtant symbolique Le Cahier, Hana Makhmalbaf s’est rendue pour le tournage à Bamian en Afghanistan, au pied des ruines des deux statues de Bouddha détruites par les talibans en 2001.

Le film commence d’ailleurs par ces images d’archives qui ont beaucoup frappé l’imaginaire occidental par leur brutalité, par l’aveuglement et la violence que cette explosion symbolisait comme si Bouddha s’écroulait de honte. Et nous avons toujours honte quand on constate que le monde est en proie à l’obscurantisme et à la laideur. Même si ce culte taillé à même les falaises de ce village troglodyte peut choquer le pouvoir taliban alors en place, il est nécessaire que les civilisations apprennent à se côtoyer et à apprendre l’une de l’autre. Outre cette honte, doublement ressentie je suppose parce que Hana Makhmalbaf est Iranienne et musulmane, la réalisatrice va beaucoup plus loin puisqu’elle met en scène des enfants et nous pose une lancinante question : que vont devenir ces enfants pour qui la violence a finalement été présentée comme une normalité.

Lors de l’entretien qu’elle a accordé à Paris au cinéma Elysées Lincoln le dimanche 10 février 2008, Hana a expliqué qu’elle pensait aux enfants afghans parce qu’ils ont vécu cette violence dans leur chair, ayant même vu leurs parents ou leurs voisins tués ou torturés. Différemment des enfants occidentaux qui font hélas, eux aussi, l’apprentissage de la violence par la télévision et les médias, ces enfants-là sont doublement victimes : de la guerre et de la mort distillée dans leur vie de tous les jours dans des conditions plus que difficiles. « Aujourd’hui, a-t-elle dit, les jeux quotidiens de tous les enfants d’Afghanistan sont une reproduction de leur expérience de vie dans un état en guerre. Ils miment les armes des adultes, veulent lapider les petites filles ou prétendent poser des mines. Quand ils atteindront l’âge adulte, comment ces enfants, qui ont fait de la guerre le thème principal de leurs divertissements, parviendront à tisser des relations normales ? » Elle a choisi comme interprètes principaux deux enfants merveilleux.

D’abord la petite fille, Bakhtay, interprétée par Nikbakht Noruz est sublime de naturel. La réalisatrice a dit l’avoir choisie pour son regard dans lequel on lit tour à tour tous les sentiments humains, et c’est pourquoi elle est filmée en plans si rapprochés. Elle est toute petite, avec sa robe verte et son voile jaune, déterminée, traçant son chemin sur cette terre aride, tentant de vendre les œufs de l’unique poule de sa mère pour s’acheter un cahier et pouvoir enfin aller à l’école apprendre à lire et à écrire comme son petit voisin. En guise de crayon, elle se servira du bâton de rouge à lèvres de maman, signe de féminité certes, mais surtout d’émancipation. Parce que Hana Makhmalbaf déclare haut et fort que, de par le monde, c’est un voile sur l’esprit des femmes qu’on veut placer de force et qu’il faut se libérer par tous les moyens. Le petit garçon ensuite, Abbas Alijome, est aussi très beau. Attaché par un pied au début du film, pour qu’il ne s’échappe plus, il apprend sans cesse, mais sans grand résultat, les lettres de l’alphabet. Après qu’il aura aidé Bakhtay au moment où elle risque d’être lapidée par des enfants, il est humilié, dans un trou plein de boue. Il n’aime pas cette Guerre des boutons à laquelle les garçons du village s’adonnent par mimétisme. Et lui, si pacifique et si doux, en fait, devient à son tour violent et agressif lorsqu’il leur crie : « Quand je serai grand, je vous tuerai. »

Pour Hana Makhmalbaf, qui a la générosité de dire que le film appartient ensuite aux spectateurs, ce petit garçon représente une forme de ténacité tout autant que la petite fille dans son désir d’apprendre. Au milieu de toute cette violence, en lui disant qu’il faut savoir mourir pour vivre, il fait part d’une certaine forme de philosophie. « Des individus sont victimes de tromperies, de tortures et de massacres, déclare la réalisatrice. Ils n’abandonnent pas ce qu’ils entreprennent mais ne seront jamais vraiment récompensés. Pour le petit garçon, l’évolution se situe dans sa prise de conscience. Il faut parfois savoir mourir pour pouvoir continuer. Ce n’est pas une expérience ordinaire. » Quant à la petite fille, qui sera sur l’affiche, et que tout le monde va adorer, elle est simplement sublime de bout en bout, et lorsque son cahier tombe pour la dixième fois à la fin, c’est sous la paille qu’il sera enterré : signe d’autodafé ou de fécondité ? La réponse est en chacun de nous.

Titre original : Buddha collapsed out of shame

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Durée : 81 mn


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