Le bruit du dehors

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Ménage à trois

Douce mélancolie

Trois femmes : Daniella, Mia et Natacha, arrivées à diverses ruptures dans leur vie émotionnelle comme professionnelle, discutent de leurs soucis, de leurs ambitions, ainsi que de leurs désirs, entre New York, Vienne et Berlin. Troisième long métrage de son auteur, Le bruit du dehors possède indéniablement une grande douceur, qui émane en particulier de la tendresse du regard que porte Ted Fendt sur ses trois personnages. Ces personnages sont filmés avec régularité par le biais de plans rapprochés utiles à souligner, avec calme et simplicité, au travers de la position dans l’espace, ainsi que l’attitude des actrices, la puissance du mal-être qui les travaille, tout comme les rapports de forces pouvant parfois se jouer entre elles, notamment financiers, malgré leur amitié. Le type d’échanges des trois femmes, comme l’usage très occasionnel d’une voix off semblable à une voix intérieure, projette directement et avec efficacité le public dans l’intimité des héroïnes, sans jamais donner une quelconque impression de voyeurisme. Grâce à la qualité scénaristique de l’œuvre, ainsi qu’à la pureté de jeu des trois belles interprètes que sont Daniela Zahlner, Mia Shellman et Natascha Manthe, incarnant leur rôle tout en retenue, chacun des personnages parvient en peu de temps, et avec peu d’information les caractérisant, à susciter empathie et tendresse auprès du spectateur. Toutes les conversations, dont est majoritairement constitué le film, sont enfin magnifiées par un travail de la bande sonore très précise et mature, dont l’une des caractéristiques consiste à être dépouillée de musiques extradiégétiques, pour mieux mettre en avant les ambiances calmes des intérieurs et des parcs dans lesquels viennent résonner les voix des trois héroïnes. Ce qui confère à l’ensemble de l’œuvre une forme d’aura douce et duveteuse, qui contraste avec l’état de déprime dans lequel est prise chacune des trois femmes ; ce contraste donnant au Bruit du dehors une belle énergie, ainsi qu’une profondeur plus complexe qu’il n’y parait de premier abord.

 

La bulle isolante

L’esthétique du film s’organise et se modèle autour du rapprochement sentimental des trois femmes, ce qui se traduit concrètement par le passage de la mise en scène d’un environnement fragmenté, lorsqu’elles sont seules ou à deux durant l’ouverture du film, notamment à New York, à un espace unifié par le biais de longs plans séquences fixes et plus larges lorsqu’elles sont réunies. Ce passage d’un aspect émietté à un aspect homogène du milieu permet de symboliquement refléter la stabilité qu’offre ce petit groupe d’amis, qui prend dès lors un aspect de bulle isolée et hors du temps, face à un monde globalisé et fluide, où chacun visite et passe dans les mêmes lieux sans jamais échanger, ni se rencontrer. Cet aspect autarcique et atemporel de la relation nouée par les trois femmes, et qui lui confère au passage une certaine ambiguïté, est enfin amplifié par deux partis-pris de mise en scène importants : la raréfaction des outils de nouvelle technologie au sein de l’intrigue et l’usage de la pellicule. L’absence des premiers, sans jamais être choquante, permet à la fois de resserrer l’attention du public sur les conversations des personnages, et de donner un caractère atemporel et universaliste au récit, ce dernier pouvant dès lors se dérouler à n’importe quelle époque. Cette dernière impression est renforcée par l’usage de la pellicule, qui permet au jeune auteur, dans un même mouvement, de poétiser avec simplicité l’environnement et le quotidien morne des trois héroïnes. Qui plus est, les couleurs pâles et parfois austères de la pellicule servent, du même coup, à marquer d’autant mieux la saison automnale dans laquelle se déroule l’intrigue, et à renforcer la mélancolie générale des personnages.

 

Un air de Sud-Coréen

Les autres thèmes sociaux actuels, tels que le féminisme ou la relation homme-femme (notamment au travers de la représentation des deux personnages masculins principaux du film, vraiment pas très futés), sont bien évidemment présents, mais pas de manière redondante, et ils se manifestent par évocation et sous-entendus. Les deux thématiques principales de l’œuvre, à savoir la solitude induite par le monde moderne et l’angoisse d’un avenir définitivement incertain, relient Le bruit du dehors aux divers films de Hong Sang-Soo, à commencer par Introduction ; il en possède leur fraîcheur et leur simplicité d’approche des sujets contemporains, tous comme leur passion pour la conversation. Le film est court, mais donne la sensation de durer longtemps, sans jamais ennuyer. On en ressort avec la satisfaction d’avoir vu une œuvre à la poésie simple et assurée, émanant d’un regard doux, frais et sobre, à rebours de toute forme d’hystérie ou de manichéisme, ce qui est toujours plaisant par les temps qui courent.

 

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Durée : 61 mn


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