Last Flag Flying

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Que reste-t-il du Vietnam quarante ans plus tard ? L’Irak, la mort, le deuil.

Vietnam, Irak : même combat. Avec Last Flag Flying, Richard Linklater dresse le portrait doux-amer d’une Amérique qui n’a jamais vraiment rompu avec son impérialisme messianique.

Mémoires de nos pères

« On était partis combattre dans la jungle pour empêcher les cocos de débarquer à San Diego. Faut croire qu’on a réussi » s’amuse Sal (Bryan Cranston), vétéran du Vietnam, devant un jeune marine. Sal, Mueller (Laurence Fishburne) et Larry (Steve Carell) ont enterré leur jeunesse dans la jungle vietnamienne. Comme le fils de Larry, qui lui est tombé à Bagdad. Qu’est-ce qui diffère de l’Irak ? Hormis le changement d’adversaires – on passe des communistes aux terroristes islamistes –, rien. L’Amérique continue de jouer au gendarme du monde.
Et d’en payer le prix. La mort d’un être cher conclut chacune de ces guerres : celle de l’ami Jimmy au Vietnam, celle du fils en Irak. Mais alors que le trio avait nié la perte de leur camarade, la mort de Larry Jr les pousse à braver l’autorité. De manière similaire à Un jour dans la vie de Billy Lynn (Ang Lee, 2017), Linklater opère une nette distinction entre le héros et l’individu. Suivant les conseils de Sal, Larry refuse qu’on enterre son fils en héros sur la terre sacrée d’Arlington, sanctuaire des Marines tombés au combat. Le père insiste pour ramener son enfant à la maison, auprès de sa défunte mère, et l’y enterrer en civil, dans son costume de diplômé. Loin de toute instrumentalisation militaire.
 

Un état des lieux du genre

Linklater ne s’aventure pas certes aussi loin qu’un Ang Lee dans la forme – le récit restant somme toute très linéaire, à la différence d’un Billy Lynn troué d’autant de flash-backs que de balles – ni même qu’envers ses dernières expérimentations narratives (la trilogie des Before étalée sur 18 ans, Boyhood tourné en douze ans). Last Flag Flying demeure, au sein de sa filmographie, un film mineur. Cependant, en dépit de son aspect badin, une menace sourde tout du long. Sal a beau jouer l’impertinent, des spectres hantent le film : le passé, la vieillesse, la mort. Le précédent Everybody Wants Some !! (2016) et Last Flag Flying se complètent de ce point de vue : le premier riait de l’insolence des jeunes étudiants des Seventies, le second montre ces derniers rongés par le deuil et la morosité trente ans après.

Un processus de vieillissement des personnages qui affecte jusqu’aux acteurs eux-mêmes, en tout cas de manière méta-cinématographique. Bryan Cranston et Laurence Fishburne ont fait leurs premières armes au cinéma dans des films de guerre : Cranston dans Il faut sauver le soldat Ryan (Steven Spielberg, 1998), Fishburne dans Apocalypse Now (Francis Ford Coppola, 1979). Soit l’archétype du film sur le Vietnam. En choisissant de mettre en scène deux acteurs post-Vietnam aux côtés d’un acteur issu de la comédie (Steve Carell a percé avec 40 ans, toujours puceau – Judd Apatow, 2005), Linklater dresse en quelque sorte un état des lieux du genre. Quarante ans après, rien ne sert de revenir se perdre dans la jungle vietnamienne. Et pourtant, celle-ci et son enlisement obsèdent encore les mâles américains, désormais devenus pères. Le Vietnam se situe à présent dans les têtes. Référence obligée de tout film de guerre, et de tout rapport à l’autorité, il interdit l’héroïsation de la guerre, et sacralise la valeur de la vie humaine.
 

Titre original : Last Flag Flying

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Durée : 124 mn


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