Présent dans le paysage cinématographique américain depuis les années 70, John Carpenter a seulement réussi à acquérir ses lettres de noblesse en tant que "master of horror" à la fin des années 80 et 90 notamment grâce à des revues et journalistes européens (dont Starfix entre autres, fondée par Christophe Gans). Amoureux de westerns, films fantastiques, séries B et plus globalement des films de l’âge d’or du cinéma américain, le metteur en scène a toujours su injecter cet amour manifeste dans ses longs métrages ainsi qu’un discours en sous-texte. Se revendiquant, en tant que cinéaste, « capitaliste/socialiste », Carpenter a souvent été mal interprété ou sous-évalué en s’amusant avec les sujets divers abordés, politiques ou non. Si The Thing (1982) évoquait la peur de l’autre et Invasion Los Angeles (1988) dénonçait la société matérialiste dans laquelle on vit (tout comme le Zombie de Romero, 1978), L’Antre de la folie fait sans aucun doute partie des films les plus intelligents du cinéaste, posant une vraie réflexion sur le cinéma et de manière plus globale, sur la fiction.
Enquêteur pour une compagnie d’assurances, John Trent (Sam Neill) est chargé par le directeur d’une maison d’édition d’enquêter sur la disparition de son auteur à succès, Sutter Cane dont les ouvrages rendent les lecteurs littéralement fous à lier. Après s’être attaqué à l’univers de Stephen King avec Christine (1983), Carpenter s’attelle ici à celui d’Howard Phillips Lovecraft (le titre d’origine In the Mouth of Madness fait d’ailleurs référence à The Mountains of Madness de l’auteur américain). Bien que le film ne soit pas à une adaptation littérale d’un roman de Lovecraft, le sujet et l’univers s’inspirent clairement de celui, démiurge et délirant, de l’écrivain, tout comme il l’avait précédemment fait avec The Thing (on notera que L’Antre de la folie est considéré par le réalisateur comme étant le troisième volet de sa trilogie de l’Apocalypse après le fameux remake de science-fiction ainsi que Prince des ténèbres, 1987). Par ailleurs, en dehors de la volonté de rendre hommage à Lovecraft, le film véhicule un discours sur le pouvoir de la fiction, notamment par le biais de la mise en abyme finale dans la salle de cinéma où le personnage principal, se retrouve devant la projection de l’adaptation cinématographique du roman, s’achevant ainsi sur un dénouement quasi méta-filmique et digne de Blow Out (1981) de Brian de Palma ou du Blow-up (1966) d’Antonioni. Tel que proclame le personnage à l’écran : "This is not reality, NOT reality".
Le décalage comique, à travers entre autres la performance de Sam Neill (sûrement un des meilleurs rôles de l’acteur) s’avère assez bienvenue, le personnage étant une sorte de mélange de Cary Grant dans La Mort aux Trousses (Alfred Hitchcock, 1959) et Humphrey Bogart dans Le Grand Sommeil (Howard Hawks, 1946) – autre référence phare de Carpenter-. La mise en scène simple, sobre et maîtrisée du maître vient parfaitement contraster avec la réelle folie se dégageant de l’univers en question. On notera également l’utilisation discrète mais récurrente de la focale courte, sans doute influencée par Welles et Kubrick, contribuant fortement à souligner l’étrangeté de certaines séquences. On appréciera notamment les superbes maquillages de Gregory Niccotero et Howard Berger (K.N.B. Effects) tout comme la musique caractéristique de Carpenter sur le générique d’ouverture où défilent des images des livres de Sutter Cane lors de leur impression. Le seul bémol que l’on pourrait éventuellement émettre vis-à-vis du film serait l’actrice Julie Carmen interprétant le personnage de l’éditrice qui accompagne le personnage dans son enquête, assez fade et mono-expressive à l’inverse de son partenaire Sam Neill.
Quoi qu’il en soit, L’Antre de la folie demeure bel et bien une des plus belles réussites de John Carpenter, au même titre que The Thing, Christine et Invasion Los Angeles. Toujours est il que son nouveau film, The Ward (2010), peine à redorer le blason du cinéaste considéré par beaucoup comme étant une œuvre paresseuse d’un cinéaste fatigué se reposant bien trop sur ses lauriers. Bien qu’on ait envie de le défendre, l’opinion générale et la sortie compromise du film tendent malheureusement vers le triste constat d’un cinéaste en état de perdition.