L´Amateur

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L’obsession de filmer par Kieslowski.

L’étude de l’Amateur de Krzysztof Kieslowski est intéressante car le cinéma est le sujet de réflexion du film. En effet, Kieslowski observe la progression d’une passion cinématographique chez son héros qui découvre le pouvoir des images. Ainsi, il est intéressant d’analyser cette oeuvre, tant dans le fond que dans la forme. Le film peut être divisé en deux parties. Effectivement, l’Amateur raconte l’histoire de Filip Mosz qui, au début du film, achète une caméra huit millimètres afin d’enregistrer la croissance de son bébé. Mais, aussitôt qu’il a mis l’œil au viseur, il ne peut s’arrêter de fixer ce qui se présente à ses yeux. Nous pouvons ainsi dire que la caméra lui ouvre définitivement les portes du monde dans la première partie du film. Cependant, Filip perd peu à peu le contrôle des images, sa vie en est totalement bouleversée. A l’intérieur de ce parcours initiatique, nous pouvons nous demander quels sont les rôles que Kieslowski attribue au septième art ainsi qu’au cinéaste.

Partie 1 : Les rôles attribués au cinéma

Dans le film, le cinéma est mis en abyme, il est alors associé à différents thèmes. En effet, Kieslowski donne au septième art de multiples rôles que nous allons détailler un par un.

Section 1 : La passion

Tout d’abord, on remarque facilement que le cinéma est synonyme de passion. Effectivement, l’Amateur s’ouvre sur une double naissance, celle de la fille de Filip ainsi que celle de sa vocation de cinéaste. Le spectateur observe alors la progression de la passion pour le cinéma, qui permet au protagoniste de développer son instinct. Filip devient un amoureux du cinéma qui, dès lors qu’il à mis l’œil à la caméra, ne peut s’empêcher de filmer et ne peut s’en séparer. Ainsi, le film montre l’évolution de la passion de Filip. En effet, il faut se souvenir qu’au début du film, Filip n’est pas lié à sa caméra comme avec un cordon ombilical comme il le sera dans la suite du film. La caméra est au départ l’outil qui va lui permettre d’enregistrer la croissance de sa fille. Ce n’est qu’un simple objet, ainsi, il hésite à la montrer à ses collègues car pour lui ce n’est rien. D’autre part, lorsque son patron lui demande si la caméra « peut faire des films », Filip répond : « le mode d’emploi dit que oui ». Il ne s’en est pas encore servi, le cinéma n’a donc pas encore fait irruption dans sa vie. Après avoir été détaché de l’objet qui lui avait coûté deux mois de salaire, Filip devient « un caméraman né », il possède alors le « don de l’observation » comme le dit son patron lors de la fête de l’usine.

Depuis qu’il a commencé à filmer, Filip prend son rôle très au sérieux. Lorsqu’il filme la fête de l’entreprise, il a l’œil qui semble littéralement collé à la caméra huit millimètres. D’ailleurs le bruit de la caméra en devient presque obsédant . Par ailleurs, on voit qu’il va sacrifier sa vie de famille pour le cinéma car la passion est un sentiment exclusif pour une seule chose. Ainsi, lorsqu’il est à la fenêtre de son travail, sa femme qui en a marre d’attendre décide de partir. La scène est filmée en plongée et souligne alors l’importance de ce moment. Nous assistons ensuite à un plan subjectif de Filip qui regarde partir Irka. L’atmosphère semble pesante et mélancolique. Il regarde la caméra, comme s’il allait l’abandonner, mais tout à coup, un pigeon fait irruption à la fenêtre, Filip oublie tout et se remet à filmer.

Dans cette perspective, Kieslowski associe le cinéma à une véritable obsession. Même lorsqu’il n’a pas la caméra à la main, à plusieurs reprises dans le film, Filip forme un cadre avec ses doigts et le porte à ses yeux pour observer ce qui si passe. Ainsi, la vie devient une forme d’observation permanente qui bascule peu à peu du domaine privé au domaine public.

Enfin, plus qu’une passion, Kieslowski va même jusqu’à associer le cinéma à la religion. En effet, le personnage d’Osuch adresse à Filip un récit édifiant sur son beau-frère âgé de 30 ans, comme Filip, qui a mal tourné en devenant prêtre. C’est une manière de suggérer que le culte de la caméra est comme un culte religieux. D’ailleurs, Filip avoue : « ça c’est fait tout seul » comme si le cinéma était pour lui une vocation, mais qu’il venait seulement de découvrir ce don.

Section 2 : Réconfort, mémoire

D’une part, le cinéma a toujours eu pour rôle de témoigner du mouvement de la vie. Ainsi, Kieslowski montre les qualités de cet art, qui devient un outil de réconfort et de mémoire. En effet, Filip a acheté une caméra afin de fixer sur la pellicule la croissance de sa fille. Le cinéma comme mémoire est pensé à l’avance. Filip sait déjà que ses films deviendront plus tard des archives aux yeux de sa fille. Le phénomène de cinéma ayant pour rôle de témoigner de la vie est encore plus flagrant lorsque le voisin de Filip refuse d’aller à l’enterrement de sa mère. En effet, au lieu de voir une personne qui lui était chère morte, il préfère la voir vivre. Ainsi, il supplie notre amateur de lui montrer les images qu’il avait préalablement filmées. Le cinéma peut donc permettre de faire un deuil. La pellicule est alors un outil de conservation et de mémoire, procurant un immense réconfort, alors même qu’aucun autre art pourrait le rendre aussi bien. Sans le vouloir, Filip a soulagé un ami d’une tristesse inconsolable. Ainsi celui-ci lui dit : « c’est beau ce que vous faites, les gens vivent plus et ils sont toujours là », c’est beau ! »

Enfin, un autre moment du film montre que le cinéma peut procurer du réconfort. Effectivement, dans la séquence où le court-métrage sur l’ouvrier nain passe à la télévision, le protagoniste se voit sur le petit écran et il devient tellement ému qu’il ne peut voir le film dans sa totalité. Il sort de la salle à manger, s’adressant à Filip, il dit : « C’est beau ce que tu fais, ça m’a ému. ». Dans le film, plusieurs passages montrent donc les bienfaits du cinéma qui permet la catharsis.

Section 3 : Violence

D’autre part, le cinéma n’est pas seulement réconfortant, il peut aussi être un outil de violence. En effet, Irka, la femme de Filip est depuis le début hostile envers la caméra. Le cinéma peut alors être associé à une arme. Il y a notamment une scène qui est très frappante par sa violence, mais qui est perturbée par un geste incongru qui donne une pointe d’humour. En effet, alors qu’une dispute éclate entre les époux, à propos du cinéma, Filip cadre sa femme avec ses doigts, comme pour répondre à sa violence. Il semble alors qu’il est devenu étranger à sa propre vie, et qu’il observait son épouse avec l’œil de verre de la caméra. A la fin du film, Filip est prêt à tout pour satisfaire son exigence de lucidité, il est prêt à payer le prix de ses erreurs et retourne la caméra sur lui. On peut assimiler ce geste à un suicide.

Section 4 : Pouvoir

– « Le premier des arts est le cinéma ! Qui a dit ça déjà ?
– Lénine ! »

Ce petit dialogue anecdotique entre Filip et son patron permet de relier le cinéma à la politique. En effet, Filip achète par exemple la revue Cinéma et Politika en même temps. Mais, Kieslowski associe plus généralement le cinéma aux relations de pouvoir.

Tout d’abord, le film s’ouvre sur l’attaque mortelle d’un oiseau blanc par un rapace noir. Le bruit du déplument est largement amplifié et continue en son extra diégétique, jusqu’au réveil d’Irka. Il s’agit donc d’un rêve que fait la femme de Filip, sur le point d’accoucher. Ce plan séquence introduit un univers fondé sur la lutte pour la survie que Zanussi a dépeint dans Camouflage en 1977. Rétrospectivement on peut se demander si l’oiseau prédateur ne représente pas, de manière allégorique, le rapport d’un metteur en scène au réel.

En effet, Filip découvre les puissances de l’enregistrement cinématographique. La caméra est un instrument qui lui permet d’explorer le monde. A mesure qu’il découvre de nouveaux sujets, de nouvelles possibilités de filmer, de nouveaux personnages, le monde se révèle à lui tout en se dérobant. Effectivement, l’Amateur met en lumière un paradoxe qui montre que la caméra révèle autant qu’elle détruit. C’est un peu comme si le réel était définitivement affecté par le cinéma.

Plusieurs relations de pouvoirs sont décrites dans le film. Tout l’univers de l’usine que dépeint Kieslowski est fondé sur les exigences du patron. Celui-ci ne comprend par exemple pas pourquoi Filip a choisi un nain ouvrier dont la vie est tout le contraire de ce que devrait être celle d’un vétéran du travail selon le socialisme. Le patron tente alors de censurer Filip. La question de censure montre d’ailleurs la supériorité qu’impose un homme sur un autre. On peut constater qu’elle est très présente dans le film. La censure permet de montrer que le cinéma est lié aux rapports de pouvoirs.

D’autres part, Filip veut dénoncer la mauvaise gestion du pouvoir, la corruption locale qu’opère l’État. Ainsi, dans ce parcours initiatique, Kieslowski met en scène les rapports complexes entre l’individu et le collectif. Au début, Filip achète la caméra pour sa fille, le cinéma est alors perçu dans son intimité, mais alors qu’il devient un véritable cinéaste, il se rend compte des conséquences morales de tenir une caméra sur le monde. Filip se met alors à faire des courts-métrages dénonçant un certain nombre de dysfonctionnement professionnel et politiques de la Pologne des années 1960.

Enfin, l’assistant de Filip lui tient tête car il ne veut pas perdre toute la bobine qui contenait une aussi une partie de son travail. Cet acte peut être une preuve que la nouvelle génération ne se laissera pas si facilement faire.

En définitive, Kieslowski parle de la lutte pour la survie. La première scène est une lutte qui termine par la mort, Filip lutte contre les injustice et enfin, dans le film camouflage de Zanussi, le thème exposé est la lute entre divers niveaux de l’existence.

Section 5 : Vérité

A l’image de l’homme à la caméra de Dziga Vertov, Filip est à la recherche de la vérité, il en devient même obsédé. Il veut montrer la vie telle qu’elle est , révéler les dessous de la société de son temps. Ainsi, lorsque son futur assistant lui demande : « Tu filmes quoi ? » Filip répond : « Tout ce qui bouge » . Il filme le monde ingénument et tente de saisir la vie, au fur et à mesure que la sienne se détruit. Il se pose progressivement en observateur de la réalité sociale de son pays. Devenu un véritable cinéaste, Filip est conscient de ses devoirs civiques. Il filme alors les façades repeintes de neuf et s’engouffre littéralement à reculons dans un long couloir afin de révéler les cours sordides et les baraques en bois qui se cachent derrière des apparences flatteuses. Il va aussi aller dans une usine où les activités réelles sont inexistantes. Ses films veulent dénoncer les abus, la corruption locale et dévoiler la vérité au grand jour. Mais les choses ne sont pas aussi simples qu’il croyait. Il découvre qu’en dépit des bonnes intentions, il a commis un acte préjudiciable : l’usine improductive et les subventions obtenues pour maintenir artificiellement les façades servaient à agrandir un hôpital et à faire fonctionner une crèche. Il ouvre alors les boîtes de pellicule, choisissant d’exposer son film, évitant ainsi l’incident. Pourtant, il salira l’image de l’État et aidera ses ennemis. Mais Filip ne baissera pas les bras puisqu’il continuera a filmer quoi qu’il en soit les conséquences.

En définitive, cinéaste est une profession qui donne la chance de montrer la vérité, mais il faut aussi prendre en compte qu’il porte sur son dos une grande responsabilité : Quelle image puis-je montrer ?

Section 6 : Introspection

Il me semble important de noter que le cinéma permet une plongée introspective car Kieslowski lui même avoue : « Dans tous mes films, c’est vers moi que je tourne la caméra » . Cependant, L’amateur n’est pas un film autobiographique. On y trouve pourtant un écho de l’apprentissage du cinéma qu’a connu Kieslowski, ainsi que la remise en question de la place du réalisateur. En effet, comme son propre personnage, Kieslowski a fait l’expérience du rôle du cinéma au centre des relations de pouvoir dans une Pologne communiste des années 1960. D’ailleurs, la nouvelle vague polonaise est remplie de héros en quête d’identité, cherchant leurs places dans un pays en chantier, comme le personnage de Filip. Tout d’abord, Krzysztof Zanussi enseignait à l’école de Lodz, Kieslowski y suivit les cours pendant sa première année. Zanussi est très présent dans l’œuvre puisque l’on assiste à la projection d’un de ses films qui a été censuré. Il y joue aussi son propre rôle de réalisateur. D’autre part, Zanussi influença Kieslowski pour l’idée du film, il voulait que celui-ci montre sa vraie vie. Kieslowski rencontrait beaucoup de cinéastes amateurs, il décida donc de parler de lui en faisant le portrait un personnage fictif.

Par ailleurs, nous pouvons noter qu’il existe plusieurs points communs entre le réalisateur et le personnage qu’il a créé. Kieslowski affirme même : « moi je veux m’identifier à cet amateur ». L’Amateur est le quatrième long métrage du réalisateur mais c’est surtout son premier film de fiction. En effet, dans un documentaire intitulé Premier amour, un couple s’émeut devant la naissance de leur enfant. Kieslowski enregistre les larmes incontrôlées du jeune père, dans son intimité. Kieslowski s’est alors rendu compte qu’il voulait filmer la réalité sans voler l’intimité afin de la projeter sur les écrans comme le fait de nos jours la « télé-réalité.

Kieslowski comprend que pour transmettre la réalité sans voyeurisme, il fallait la représenter. Sa passion documentaire fait place à des projets de fiction. De la même façon, Filip comprend que les rushes des documentaires peuvent être utilisés contre les personnes filmées. Il décide alors de narrer sa propre histoire et de devenir le héros de son film. Nous pouvons ensuite noter Kieslowski et Filip ont tout deux grandit dans un orphelinat (c’est aussi la même enfance qui est retracée dans le hasard, de Kieslowski). D’autre part, comme Filip, Kieslowski à 38 ans, il est marié et père d’une petite fille lorsqu’il tourne l’Amateur.

En outre, lorsque Filip se renseigne dans les livres, les pages qui sont filmées sont celles de Ken Loach, réalisateur qu’adorait Kieslowski, et Kess, un des premiers films qui ait véritablement touché le réalisateur. C’est un film qui traite d’un faucon, cela ne peut que rappeler la première scène du film, l’attaque de l’oiseau noir sur l’oiseau blanc, ou encore la scène du pigeon paradant sur le balcon qui fascine tant Filip. D’autre part, les sujets de courts-métrages que réalise Filip sont des choix spécifiques aux vœux de Kieslowski. Celui-ci avait véritablement prévu de traiter ces sujets, mais il ne les réalisera pas. Ainsi il dit qu’il aurait souhaiter réaliser un film sur les dallages, un autre sur un nain, Filip lui a la chance de les tourner.

Nous pouvons aussi voir que Kieslowski, comme Filip n’a été connu que très tardivement. Le réalisateur met cela en avant dans la scène du concours où le prix du meilleur film amateur est décerné à Filip qui, à cet âge, ne devrait plus être amateur, mais cinéaste reconnu. Kieslowski parle aussi de lui et de son rapport au cinéma. Il met en avant la marque de la caméra en la montrant et en la citant à plusieurs reprises. C’est une « Quartz 2 ». Ce choix n’est pas anodin puisque le réalisateur a filmé pendant de nombreuses années avec cette caméra. En ce qui concerne la fin du film et l’exposition de la pellicule au grand jour, Kieslowski dit : « Je n’ai jamais vraiment détruit mes films, mais si j’avais su que la censure allait confisquer les bobines de Station, j’aurais exposé la pellicule avant qu’elle ne soit confisquée ». Enfin, Kieslowski démontre que le cinéma joue son propre rôle en agitant la perception et en faisant prendre conscience des conséquences de sa propre pratique.

Partie 2 : Création d’un artiste

A l’image de l’homme à la caméra de Dziga Vertov où l’on assiste à la création d’un film, du tournage à la projection en salle, nous assistons dans l’amateur à l’élaboration de plusieurs courts-métrages. Nous allons donc procéder à la mise en relief des différentes places que l’on peut assigner à Filip, dans le domaine du cinéma. En effet, le titre du film montre bien que dans tout le film Filip va être un amateur, mais il se perfectionne au fur et à mesure que se déroule la bobine. Le jury du concours de court-métrage d’amateur explique bien le rôle de celui-ci quand il dit : « Le journal télévisé présente ce qui doit être présenté, un amateur lui ne doit rien. Il peut faire ce qu’il veut quand il veut. »

Au début du film, Filip n’est qu’un simple reporter, caméraman, homme à la caméra qui filme tout ce qui bouge autour de lui. Cherchant à ne rien perdre de ce qui lui paraît mériter l’enregistrement, il filme indifféremment sa fille, son voisin, la fête à son travail. Mais à partir du moment où il tente de filmer une envolée de pigeons, en essayant de les attirer avec du pain, il a produit une véritable mise en scène. Filip est alors devenu cinéaste. Kieslowski rappelle même les débuts du cinéma et notamment les frères lumière avec le court-métrage de Filip, filmé en plan séquence, lorsqu’il fixe la caméra du haut de son balcon et qu’il regarde les gens passer.

Kieslowski suggère aussi que le maîtrise technique ne suffit pas. Le héros doit aller au cinéma, lire des livres et des journaux. En effet, il faut apprendre en regardant le travail des autres. Ainsi, le réalisateur indique quatre grands réalisateurs qui sont, à ses yeux, important dans l’histoire du cinéma. Le premier est Zanussi qui apparaît lui-même dans son propre rôle et qui anime un débat dans le ciné-club de Filip. Les trois autres sont cités dans les livres que Filip lit attentivement : Andrzej Wajda, Karoly Makk, et Ken Loach. Le petit film sur le camarade d’usine nain qui passe à la télévision est accompagné d’un commentaire de l’intéressé.

L’amateur change encore de statut. La télévision lui commande de brefs reportages et lui confie un appareil plus performant : une caméra seize millimètres dotée d’un zoom. Kieslowski joue avec cela puisqu’il montre un plan où Filip essaye le zoom sur une dame dans la rue, il ne se permettra plus de fantaisies de ce genre dans le reste du film. Filip devient un investigateur avec sa nouvelle caméra puisqu’il a la charge de filmer un immeuble abandonné afin de dénoncer la corruption locale. Après l’épreuve fascinante du tournage, Filip passe à l’élaboration du montage. Il est lui-même très étonné par sa première création. Il ne cesse de montrer à sa femme, sa fille, et aussi au spectateur le superbe montage qu’il a réalisé. Il répète sans cesse : « Franer/Patron . En montrant à plusieurs reprises ses collures, il semble absolument fier de son montage.

Enfin, le thème de la censure est très largement exploré dans le film. Filip apprend l’existence de la censure tout au long du film. En effet, dès la naissance de sa fille, Irka l’empêche de filmer sa fille nue, même si ce n’est qu’un bébé, c’est une personne qui ne doit pas être montrée nue. Ensuite, son patron a acheté un stylo torche afin de noter les scènes à proscrire pendant la projection. Le patron prend d’ailleurs des précautions pour parler de censure puisqu’il minimise les scènes à supprimer pour ne pas faire de la peine à Filip. Cela touche beaucoup l’amateur qui devient pâle d’un seul coup. Les scènes proscrites sont toutes celles qui sont originales car elles montrent les coulisses de l’entreprise. Elles sont innovantes et montrent par exemple trois hommes qui sortent des toilettes, la paye que reçoit les acteurs ou encore la scène des pigeons sur le balcon. A la fin du film, nous assistons même à une autocensure puisque Filip fait rouler sa bobine sur la route pour ne pas faire du tord à ses amis.

La question de la censure appelle une autre question : A qui appartient un film? En effet, dans la mesure où la pellicule est payée par l’entreprise, le travail de Filip lui appartient-il vraiment? Lorsque le directeur s’approprie le certificat qui lui avait été décerné pour son film, la réponse est claire. La même question se pose lorsque Filip doit faire un film sur la corruption locale. Il reçoit un matériel plus perfectionné et une pellicule venant du patron d’une chaîne de télévision. L’argent est vraiment considéré comme un pouvoir. Il n’y a qu’à la fin que l’on sent que quelque chose lui appartient car il se filme lui-même. Il se rend compte qu’il peut être responsable de ce qu’il filme seulement quand c’est lui-même qui est dans le cadre.

Kieslowski passe en revue les diverses définitions que l’on peut donner au cinéma en dressant un portrait d’un homme à qui la passion pour la caméra fera perdre femme, enfant et amis.

Partie 3 : Regard plus précis sur la séquence finale

L’histoire de l’amateur devait se terminer autrement. Le héros devait détruire le film. Mais Kieslowski a changé la fin, disant que lui-même n’arrêterait pas de faire des films. En fin de compte, il détruit son film sans pour autant renoncer au cinéma puisqu’il tourne la caméra vers lui-même. En effet, se trouvant dans son appartement vide et abandonné par sa femme, il dirige la caméra vers son visage et raconte son histoire. Il commence son récit par le double accouchement, celui de sa fille et de la prise de conscience de lui-même. Il avait acheté la caméra dans le but de faire vivre et revivre des moments ou des gens. Mais, aussi bien dans son travail que dans sa vie de famille la caméra l’a tué peu à peu. Filip inverse le sens qu’il donnait à l’origine à la caméra car c’est l’instrument qui a détruit sa vie. En ce sens, nous pouvons concevoir cette scène comme un suicide.

D’un autre côté, la caméra est l’objet qui l’a mis en route vers une liberté même si celle-ci est de plus en plus solitaire. La caméra a révélé ses talents et lui a ouvert les portes du monde. Retournant l’objectif vers lui, Filip prend la responsabilité de la matière filmée. Il relate son aventure et en devient lui-même le narrateur. Filip raconte l’histoire de cet homme qui finit par comprendre que faire un film n’est possible que si l’on est capable de se regarder soi-même. Cette introspection peut être douloureuse. En effet, Kieslowski représente la création comme une forme de souffrance que doit endurer le réalisateur car il éprouve le besoin urgent de filmer le monde qui l’entoure.

A partir du moment où il sort sa caméra, la scène se déroule sous trois angles, montrant ainsi différents points de vues. En effet, il y a le regard du spectateur sur Filip qui prend sa caméra et qui le dirige vers lui. Ensuite, on voit à travers l’objectif, c’est à dire ce qu’est entrain d’enregistrer Filip. Mais le plan le plus intéressant et le plus innovant est celui où le spectateur est dans la position de Filip qui voit son reflet dans le verre de la caméra. Ces trois prises de vues sont très bien choisies et montrent encore une fois que le spectateur s’identifie à Filip. Ainsi, à plusieurs reprises, le public le comprend.

Conclusion

Ce film fait exception dans l’œuvre de Kieslowski par sa clarté et par sa petite note d’espoir. C’est aussi l’un des plus émouvant et des plus personnel car Kieslowski s’y livre directement. Le film mêle le pessimisme de l’intelligence, l’optimisme de la volonté, la cruauté et l’humanisme. Kieslowski peint la réalité avec humour et parfois avec ironie. Le spectateur s’attache à Filip incarné par Jerzy Stuhr qui donne au personnage une certaine humanité car il est à la fois naïf et révolutionnaire.

Son apport dépasse d’ailleurs sa simple performance d’acteur puisqu’il a aidé Kieslowski à écrire les dialogues. Jerzy Stuhr s’était totalement investit pour le film et cela se ressent à l’écran. Le spectateur est attaché au personnage parce qu’il s’identifie au héros. Le public ressent les mêmes émotions que le protagoniste au fur et à mesure que se dévoile sa passion. D’ailleurs, nous devenons presque aussi passionné que Filip. En effet, dans ses relations avec sa femme par exemple, nous ne comprenons pas pourquoi celle-ci l’empêche de faire des films alors qu’il est passionné par son nouveau métier. Kieslowski a réussi à mettre en place un certain processus d’identification grâce à ce protagoniste très touchant, rendant ainsi le film plus fort.

Enfin, ce film est exceptionnel car il fait aimer le cinéma tout en montrant les différents problèmes que rencontrent les réalisateurs. Kieslowski nous montre que ce n’est pas un métier facile et il nous explique comment connaître l’enfer lorsqu’on décide de se lancer dans la réalisation de films amateurs.

Titre original : Camera Buff Amator

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Durée : 117 mn


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